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Page:Sophocle - Tragédies, trad. Artaud, 1859.djvu/394

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sort si peu mérité ; j’admire comment il a pu, seul, et n’entendant que le fracas des vagues qui se brisaient contre les rochers[1], supporter une vie si lamentable :

(Antistrophe 1.) Ce malheureux, qui ne peut marcher, forcé de trouver en lui seul toutes les ressources[2], n’avait pas même un voisin ami qui connût ses souffrances, dans le sein duquel il pût épancher les plaintes répétées par les échos, que lui arrache une plaie dévorante, ou qui, ramassant des plantes calmantes sur la terre nourricière, assoupît par leurs sucs bienfaisants les ardeurs de l’ulcère sanglant ; et quand ses douleurs atroces[3] venaient à se calmer, il se traînait çà et là, comme un enfant séparé de sa nourrice chérie, cherchant un appui pour affermir ses pas chancelants.

(Strophe 2.) La terre sacrée ne lui fournit pas ses graines nourricières, ni les autres aliments qu’a trouvés l’industrie des humains[4] ; il n’a pour se nourrir que les oiseaux que ses flèches ailées peuvent atteindre. Âme infortunée, que depuis dix ans la liqueur de Bacchus n’a pas réjouie ; mais il n’avait pour apaiser sa soif qu’une eau croupissante, où il pouvait en découvrir, et toujours il s’y traînait péniblement.

(Antistrophe 2.) Enfin il a trouvé le fils d’un héros, et il va sortir heureux et plein de gloire de cet état de misère ; ce jeune guerrier, après un si long temps, le ramène sur sa nef rapide dans sa patrie, au séjour des nymphes de Malie, et aux bords du fleuve Sperchios, d’où le belliqueux Hercule, brillant d’une flamme divine[5] , s’éleva

  1. Fénelon, Télémaque, « je n’entendais que le bruit des vagues de la mer, qui se brisaient contre les rochers. »
  2. J’adopte, avec MM. Boissonade, Bothe et Hermann, la leçon : ῎Ιν᾿ αὺτὸς ἦν πρόσουρος οὺκ ἔχων βάσιν.
  3. Δακέθυμος, qui ronge le cœur.
  4. ᾿Ανέρες άλφησταἱ, « les hommes industrieux : » épithète homérique ; elle se trouve souvent dans Hésiode : Eschyle, Sept contre Thèbes, vers 770.
  5. Il sortait des flammes du bûcher : divine, parce que Jupiter avait lancé sa foudre, pour accroître l’ardeur du feu qui consumait Hercule.