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Page:Sophocle - Tragédies, trad. Artaud, 1859.djvu/457

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s’occupait, moyennant un salaire, à passer les voyageurs sur le large fleuve Événos[1], fendant les ondes avec les mains, sans employer le secours de la rame, ni des voiles de navire. Lorsqu’envoyée par mon père, je suivais pour la première fois Hercule, en qualité d’épouse, le centaure me prit sur ses épaules[2] ; mais, au milieu du trajet, il porta sur moi une main lascive ; je jetai un cri, et aussitôt le fils de Jupiter se retourne[3], et lance une flèche ailée, qui traversa en sifflant la poitrine du monstre. Alors, près de mourir, il me dit : « Fille du vieil Œneus, puisque tu es la dernière que j’aurai transportée, tu garderas du moins, pourvu que tu m’obéisses, un fruit de mon passage ; si, en effet, tu recueilles de ma blessure le sang figé autour de cette flèche, que l’hydre de Lerne a trempée de son venin, tu auras un philtre puissant pour charmer le cœur d’Hercule, et le forcer de n’aimer aucune femme plus que toi. » Je me suis rappelé ses paroles, chères compagnes, et comme, depuis sa mort, je gardais soigneusement dans ma demeure ce philtre d’amour, j’en ai teint cette tunique, avec les précautions indiquées par le centaure vivant, et l’œuvre est accomplie. J’ignore et veux toujours ignorer un art funeste, et je déteste celles qui le pratiquent ; mais si, par hasard, au moyen de ce philtre, je puis triompher de ma rivale, et ramener Hercule par ce charme, le voici tout préparé, si mon entreprise ne vous paraît pas vaine ; sinon, je renoncerai à mon projet.

LE CHŒUR.

Sans doute, si l’on peut ajouter foi à la vertu de ce charme, ton plan ne nous parait pas mauvais.

  1. Fleuve d’Étolie, qui baigne Calydon.
  2. L’aventure du Centaure avec Hercule et Déjanire est racontée par Apollodore, l. II, c. 7, 6 ; Ovide, Métam. 10, 104-133 ; Sénèque, Herc. Œt., 499-534.
  3. Hercule avait traversé le fleuve avant Déjanire. Ovide, ibid. :
    Nam clavam et curvos trans ripam miserat arcus...
    Jamque tenens ripam, missos dum tolleret arcus,
    Conjugis agnovit vocem.
    Le récit de Sénèque est différent.