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Page:Sophocle - Tragédies, trad. Artaud, 1859.djvu/87

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intention religieuse se cache-t-elle sous ces dehors froids et impassibles : Oreste agit en vertu de l’oracle d’Apollon, qui non-seulement lui a enjoint de venger son père, mais qui lui a prescrit jusqu’à la manière dont il doit agir ; v. 34 : « Seul et sans armes, c’est par la ruse et par un coup secret qu’il faut assurer ta vengeance. » À plusieurs reprises il revient sur ce fait, que le parricide lui est commandé par les dieux. Il apparaît donc ici comme ministre de la justice divine ; aussi n’éprouve-t-il aucune hésitation, il va droit au but, sans longues paroles, et obéit sans remords à la voix des dieux.

L’Oreste d’Euripide doute presque de la vérité des oracles ; il hésite, il accuse la divinité de démence. Les Dioscures eux-mêmes (dont l’intervention semble étrange dans l’Électre d’Euripide) désapprouvent la résolution d’Apollon. Cette horreur du parricide, que le poète plus récent n’a pu se dispenser de manifester, atteste le progrès des idées morales, et en même temps le déclin de l’idée religieuse, alors encore si imparfaite et si mêlée d’alliage. J’espère prouver plus tard qu’un grand nombre des fautes, des contradictions, des écarts que l’on reproche à Euripide, au point de vue de l’art dramatique, sont, en beaucoup de cas, l’effet même des progrès de l’idée morale, qui ne lui permettent pas d’adopter la tradition mythologique sans la modifier, ou même sans l’altérer.

Il serait superflu d’arrêter ici notre critique, soit sur la conduite de la pièce, soit sur les détails. Admirons seulement, dans la scène de la reconnaissance, la simplicité antique de ce cri qui échappe à Électre : ἦ γἁρ σύ κεῖνος ; « c’est donc toi ! » Ces mots si simples sont le cri de la nature, on ne pouvait dire autrement.

Sur le dénoûment, on peut dire qu’il y a peu d’habileté à placer la mort de Clytemnestre avant celle d’Égisthe ; la première épuise toutes les émotions que le cœur peut ressentir. Remarquons néanmoins un artifice du poète, qui ne met pas le meurtre de Clytemnestre sous les yeux des spectateurs, moyen horrible, qui souillerait la scène ; il no fait pas non plus raconter l’action par