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Page:Sorel - La Vraie histoire comique de Francion.djvu/166

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roit de la honte, parce que possible Hortensius avoit-il semblablement gardé un régiment de pourceaux en sa jeunesse ; qu’en parlant à elle il croiroit encore parler à ses sujets ; qu’il la voudroit traiter tout de même, et que tout le monde, la montrant au doigt, diroit : Voilà mademoiselle la porchère.

Ce dédain mit tellement en fougue Hortensius, que ce fut un salutaire antidote contre le venin de son amour, qu’il changea incontinent en haine ; et, sans dire adieu à personne, il sortit de la chambre, en refermant la porte après lui, de peur que l’on ne le reconduisît, puis s’en vint droit au collège conter son infortune à son sous-maître. Tandis le villageois et le cuistre, qui étoient demeurés, furent interrogés en toutes façons, et l’on apprit que ce glorieux pédant étoit venu à Paris presque tout nu, et avoit été contraint de gueuser jusqu’à tant qu’il eût trouvé condition. Le cuistre pensa retourner devers lui ; mais il lui donna son congé dès qu’il l’eut vu, indigné de la sottise qu’il avoit faite, et laissa sans récompense le paysan, qui avoit gâté toute son affaire.

Au plus fort de son courroux, il écrivit une lettre à Fremonde, où il mit une infinité d’injures de collège contre elle ; il l’appeloit Médée, Mégère, Tisiphone. Il lui dit que, puisqu’elle ne vouloit pas être rose, et se laisser cueillir par un nourrisson des Muses qui avoit avalé plus d’un seau de l’onde Aganipide[1], Phœbus la métamorphoseroit en chardon, afin qu’elle servît de pâture aux ânes ; qu’il voyoit bien, par l’exemple de Jupiter, qui s’étoit transformé en cygne, en satyre et en taureau, pour jouir de ses maîtresses ; qu’il falloit être du tout bête pour obtenir quelque chose des femmes, et principalement d’elle, qu’il estimoit la plus belle femme du monde, c’est-à-dire qui tenoit le plus de l’humeur volage et brutale qui appartenoit à ce sexe. Après, il en venoit aux reproches, et, par une vilenie la plus sale du monde, nombroit la dépense qu’il avoit faite à la traiter avec sa compagnie dedans sa maison ; l’assuroit qu’il ne s’étoit mis en frais que parce qu’il espéroit de l’épouser, et lui disoit pour conclusion que, vu qu’il étoit frustré de son attente, il vouloit qu’elle, et tous ceux qu’il avoit traités, lui rendissent un festin chacun à leur tour.

  1. D’Aganippe, source située au pied de l’Hélicon.