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Page:Sorel - La Vraie histoire comique de Francion.djvu/311

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ris, et l’avoit suivi à petites journées, tant qu’il les avoit trouvés. Je m’en vais vous conter, dit alors Raymond, le tour qu’il a fait ce matin : ayant vu descendre Hélène de carrosse, il s’est mis dedans cette salle, où il a commencé à se promener majestueusement, comme s’il eût eu céans bien de l’autorité ; et, comme Hélène est entrée, il lui a dit, en ne faisant que toucher au bord de son chapeau : Bonjour, bonjour, mademoiselle, que demandez-vous ? Elle lui a répondu avec humilité qu’elle me demandoit, et, suivant sa prière, elle s’est assise auprès de lui dans une chaise. Leurs discours ont été de choses communes, où Collinet n’a point témoigné qu’il manquât de jugement ; il s’est enquis de quel lieu venoit Hélène, de quel pays elle étoit, si elle étoit mariée, et combien sa maison avoit de revenu, avec une gravité si grande, qu’Hélène, le voyant bien vêtu comme il est, le prenoit pour quelque grand personnage ; et, quoique d’ordinaire elle soit assez délibérée, elle n’osoit seulement lever les yeux pour le regarder. Il n’a pu se tenir plus longtemps dans les termes de la modestie et de la raison ; il a fallu qu’il ait montré son naturel. Vous venez donc voir Raymond ? lui a-t-il dit, j’en suis bien aise : c’est le meilleur cousin germain que j’aie ; il me fit hier au soir souper dès que je fus arrivé, et me fit manger de la meilleure soupe aux pois verts que je mangeai de ma vie. Jésus, lui a répondu Hélène, monsieur, vous êtes trop généreux pour ne chérir vos parens qu’à cause qu’ils vous font manger de la soupe. Parlons d’autre chose, mademoiselle, a-t-il répliqué ; aimez-vous bien à être culbutée ? car, foi de prince, vous le serez tout maintenant. Nous procédons quelquefois à la génération et à la propagation du genre, encore que nous ayons la mine de l’aîné des Catons. Ah ! que vous êtes incivil, ç’a-t-elle dit, je ne l’eusse jamais jugé. Comment ! vous vous voudriez faire tenir à quatre ? c’est bien envers moi qu’il faut être farouche ! a-t-il repris. Là-dessus il l’a voulu prendre pour exécuter son dessein, et elle a commencé à crier si haut, que je suis descendu de ma chambre pour venir à son secours. Elle m’a demandé si je l’avois envoyé querir pour la faire traiter comme une femme la plus débauchée du monde ; et je l’ai rapaisée, en lui disant quel homme est le seigneur Collinet. Ne vous souciez point toutefois, mon brave, celle-là ne sera pas tantôt si rebelle à nos caresses, ni toutes