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Page:Sorel - La Vraie histoire comique de Francion.djvu/346

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avez fait mettre à table avec vous : ne sçavez-vous pas bien que, quand vous êtes entré, ils faisoient carrousse[1] ensemble ? Il faut envoyer dire à leurs femmes qu’elles les viennent requérir. Pour cet homme-ci, poursuivit-il en parlant du marchand, je prendrai bien la peine de le ramener tantôt moi-même.

Ayant dit cela, il commanda à un de ses valets d’aller querir les femmes des sergens. L’on fut tout étonné que l’on les vit peu de temps après, et certainement elles firent une belle vie : elles dirent une infinité d’injures à leurs maris en les remenant, et, ce qui les faisoit enrager, c’étoit qu’elles ne pouvoient tirer d’eux aucune parole raisonnable. Quant au marchand, lorsqu’il fut à sa maison, la sienne lui demandant s’il avoit reçu l’argent que l’on lui devoit, n’étant pas si assoupi que les autres, il eut bien le sentiment de lui dire qu’elle avoit envie de s’en faire brave, et, prenant un bon bâton, il la chargea en diable et demi. Néanmoins il ne songeoit point s’il avoit reçu l’argent ou non, et ne s’apercevoit pas du larcin de ses papiers.

Le lendemain, reconnoissant sa perte, il courut en fougue à la taverne, mais il n’y trouva plus les hôtes du soir précédent. Ils étoient délogés de bon matin, prévoyant bien ce qui devoit avenir : si bien qu’il apprit à ses dépens à ne plus tromper la jeunesse, et à ne lui plus rien prêter pour l’employer en ses inutiles débauches. Néanmoins, Francion conseilla à son débiteur de lui donner un jour quelque chose, selon ce que sa conscience lui en ordonneroit.

Comme ils furent aux champs, il s’enquit de lui quel chemin il avoit envie de prendre. Un autre que celui que vous prenez, répondit-il, parce que vous allez vers le château de mon père, devant lequel je n’oserois me présenter. Je lui ai pris de l’argent, que je viens de manger à la cour, et je m’en vais maintenant trouver un seigneur de ce pays-ci, qui me recevra bénignement en sa maison comme étant mon parrain. Voilà qui est bien, dit Francion ; puisque vous êtes ainsi vagabond, cherchez le moyen de venir à Rome d’ici à quelques mois, vous m’y trouverez sans doute et y passerez mieux le temps qu’en pas un lieu du monde. Votre humeur me plaît

  1. Débauche.