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Page:Sorel - La Vraie histoire comique de Francion.djvu/360

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que Floriandre étoit mort sans doute, mais qu’il ne sçavoit pourquoi elle croyoit qu’il s’appelât aussi Floriandre. Nays répondit que son laquais l’avoit nommé ainsi ; de quoi Francion, ne s’étonnant guère, lui dit : Vraiment, j’en sçais bien le sujet : c’est qu’il a servi Floriandre et qu’il n’y a pas longtemps qu’il est à moi ; de sorte que, par accoutumance, le nom de ce premier maître lui vient plus souvent à la bouche que le mien.

Après cela, Nays lui demanda s’il avoit quelque indisposition qui le forçât à venir boire des eaux ; et, ne pouvant celer son martyre devant celle qui pouvoit y mettre remède, il lui parla de cette sorte : Vous me faites tort, madame, de croire qu’un autre sujet que le désir de vous voir m’ait donné la résolution de venir ici. N’ôtez point à mon affection l’une de ses plus sensibles preuves ; croyez que je n’ai point d’autre douleur que celle que vos perfections m’ont causée. Mais, hélas ! c’est un mal qui n’a point de pareil en rigueur, et qui seroit insupportable sans l’espérance qui l’accompagne. Que vous avez produit de miracles, belle déesse ! Il n’y a que ceux qui voient le soleil même qui soient échauffés de ses rayons ; ceux qui ne voient que sa figure ne le sont point, mais j’ai été enflammé jusqu’à l’excès en ne voyant que votre portrait. Quel destin empêche qu’en vous considérant maintenant vous-même je ne sois tout réduit en cendre ? Le ciel ne me fait-il point cette grâce de me conserver en mon premier être afin que je souffre éternellement ? Que cela soit ou non, mais vous pouvez, malgré les ordonnances du sort, me rendre la santé et éteindre les plus vives ardeurs que j’aie. Aussi viens-je ici, non point pour boire des eaux de la fontaine qui remédie à plusieurs incommodités du corps, mais pour tâcher d’avoir d’autres eaux bien plus estimables qui font leurs fonctions dessus les âmes : c’est votre bienveillance et vos faveurs qui sont capables d’adoucir mes passions, si leurs ruisseaux découlent dessus moi. Vous me pardonnerez, reprit Nays, si je vous dis que, quoi que vous puissiez alléguer, je crois que vous n’êtes point venu ici pour autre chose que pour y épandre les merveilles de votre mérite ; vous le faites paroître assez visiblement en toutes choses, quand ce ne seroit qu’en montrant à chaque propos votre bien dire.