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Page:Sorel - La Vraie histoire comique de Francion.djvu/4

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AVANT-PROPOS.

de la terre sont si communs, qu’ils ne doivent être non plus à une personne qu’à l’autre ; et que c’est très-sagement fait de les ravir subtilement, quand l’on peut, des mains d’autrui : Car, disoit-elle, je suis venue toute nue en ce monde, et nue je m’en retournerai ; les biens que j’ai pris d’autrui, je ne les emporterai point ; que l’on les aille chercher où ils sont, et que l’on les prenne, je n’en ai que faire. Hé quoi ! si j’étois punie après ma mort pour avoir commis ce qu’on appelle larcin, n’aurois-je pas raison de dire à quiconque m’en parleroit que ç’auroit été une injustice de m’avoir mise au monde pour y vivre, sans me permettre de prendre les choses dont on y vit ? » Agathe, qui a pratiqué ces excellentes maximes et a mené joyeuse vie, se plaît à conter des historiettes galantes, hérissées de détails scabreux. Et l’auteur de couronner le tout par les réflexions suivantes : « Nous avons vu ici parler Agathe en termes fort libertins ; mais la naïveté de la comédie veut cela, afin de bien représenter le personnage qu’elle fait. Cela n’est pas pourtant capable de nous porter au vice, car au contraire cela rend le vice haïssable, le voyant dépeint de toutes ses couleurs. Nous apprenons ici que ce que plusieurs prennent pour des délices n’est rien qu’une débauche brutale, dont les esprits bien sensés se retireront toujours. » Comment ne pas amnistier des gravelures qui se couvrent de motifs aussi triomphants ?

Malgré les nombreux correctifs introduits dans son œuvre, Sorel n’a jamais cessé d’en décliner la paternité. Historiographe de France, il eut jusqu’à la fin la pudeur de son état. La première édition de ce livre, qui est de 1622[1], est intitulée : Histoire comique de Francion, fléau des vicieux. Presque toutes les autres éditions portent ce titre uniforme : La vraie histoire comique de Francion, composée par Nicolas de Moulinet, sieur du Parc. C’est toujours sur le compte de ce fantastique « gentilhomme lorrain » que Sorel met son péché de jeunesse (il avait environ vingt-trois ans en 1622). Nous lisons dans sa Bibliothèque françoise[2] : « On tient que ce peut être lui (Sorel) qui a composé une Histoire comique remplie de choses qu’il inventa et d’autres qu’il avoit ouï dire ; mais quelques personnes sçavent assez qu’on a confondu ceci avec un livre du sieur du Parc, auteur de ce temps-là, qui y a mêlé des contes fort licencieux, et que d’autres encore y ont travaillé. Cet ouvrage n’est ni meilleur ni plus digne d’être approuvé pour avoir été imprimé quantité de fois en l’état qu’il est, ni pour avoir été traduit en quelques langues. Il ne se trouvera

  1. Barbier fait dater de 1623 cette première édition.
  2. La Bibliothèque françoise de M. C. Sorel, ou le choix et l’examen des livres françois, qui traitent de l’éloquence, de la philosophie, de la dévotion et de la conduite des mœurs, et de ceux qui contiennent des harangues, des lettres, des œuvres mêlées, etc. — 1664.