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Page:Sorel - La Vraie histoire comique de Francion.djvu/45

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Son serviteur lui répondit le mieux qu’il lui fut possible, afin de lui donner de la consolation ; mais il en prenoit bien lui tout seul. Monsieur, poursuivit-il, je ne me fâche que de ce que je vous vois ainsi la dedans, cela n’est guère honorable ; aussi, pour conduire les criminels au supplice avec plus d’ignominie, l’on les met dedans une charrette, je n’étois pas d’avis que vous entrassiez en celle-là.

Francion répondit là-dessus qu’il sentoit plus de mal que l’on ne pensoit en entendant ainsi goguenarder, et qu’il n’avoit pas assez de force pour se tenir à cheval.

Il aperçut que la nuit venoit petit à petit, mais il ne s’en mit point en peine, parce que le charretier lui assura qu’il n’y avoit plus qu’une demi-lieue jusqu’au bourg : de fait il disoit la vérité ; néanmoins ils n’y purent pas arriver, d’autant qu’une de leurs roues eut quelque chose de rompu. Ils passoient de fortune alors par un petit village où ils furent contraints de s’arrêter devant le logis d’un charron ; mais la nuit vint tout à fait auparavant que leur charrette fût accommodée, de sorte qu’il leur fallut chercher un gîte. Ils s’en allèrent droit à la taverne du lieu, qui étoit fort mal pourvue de toutes choses, et, ayant pris là un repas qui ne leur chargeoit pas beaucoup l’estomac, ils demandèrent où ils pourroient coucher. Je n’ai que deux lits dedans ma chambre haute, dit le tavernier, encore sont-ils occupés. Les deux hommes qui sont venus avec moi se coucheront dedans l’écurie ou autre part, dit Francion ; mais, pour moi, il faut que je sois sur un lit, je vous le payerai plutôt au double. Monsieur, dit l’hôte, il y a là-haut un gentilhomme couché tout seul ; je m’en vais m’enquérir de lui, s’il voudroit bien vous faire place à l’un de ses côtés.

Ayant dit cela, il monta à la chambre, d’où il revint avec une fort bonne réponse pour Francion, qui incontinent alla trouver le lit, où l’on consentoit qu’il prit son repos. Monsieur, dit-il à ce gentilhomme qu’il y vit couché, si je ne me portois point mal, la nécessité ne me forceroit pas à vous incommoder comme je vais faire ; je m’en irois plutôt passer la nuit volontiers, couché tout à plat sur un lit qui ne pourroit branler si tout l’univers n’étoit en mouvement, et où je n’aurois pour rideaux que les cieux ; toutefois le sujet qui me fait venir ici perdra tout à fait la puissance qu’il a eue à me persuader de