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Page:Sorel - La Vraie histoire comique de Francion.djvu/50

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et jeune, ne fut fort aise de trouver un ami qui fit, au lieu de son époux, une besogne qui ne pouvoit pas demeurer à faire, et qui est la principale du ménage. Il faut un bon Atlas pour ne point succomber à un faix si pesant que celui de satisfaire aux amoureuses émotions d’une femme. Valentin n’avoit pas, à mon avis, des épaules assez fortes pour le supporter ; il étoit besoin que quelqu’un lui aidât. Donc je m’imaginois que ma fidélité me feroit choisir de Laurette, pour cette affaire, entre tous les hommes du monde.

Tandis que je me flatte par cette pensée, voici un accident qui arrive, dont je ne me doutois pas, c’est que Valentin sort de Paris pour toujours avec tout son train. Je m’enquiers du lieu de sa retraite : l’on m’apprend que c’est en ce pays-ci et en un château qui appartient à son maître, dont nous ne sommes éloignés que de quatre lieues. Je me fâche, j’enrage et me désespère de l’absence de Laurette, sans laquelle il ne m’étoit pas avis que je pusse vivre. Enfin, je me résous à laisser toutes les bonnes fortunes que j’attendois auprès du roi pour venir ici tâcher de recueillir celles de l’amour. J’arrivai il y a cinq jours au village où est Valentin, ayant pris l’habit de pèlerin à un bourg proche d’ici, où je laissai tous mes gens, excepté le valet que vous avez vu tantôt. Je fis accroire à tout le monde que je venois de pèlerinage de Notre-Dame de Montferrat ; mais j’étois un grand trompeur, car j’allois à celui de Laurette. Les femmes me demandoient des chapelets, et je leur en donnois de beaux, dont je n’avois pas manqué à me garnir. J’allai jusques au château, où, je trouvai Valentin, qui me reçut courtoisement, et prit, avec des remercîments fort honnêtes, un de mes chapelets, que je lui présentai. Je lui demandai la permission d’en bailler un autre à madame sa femme ; il me l’accorda librement, de sorte que je lui en portai un en sa présence. Et d’autant que l’heure de dîner étoit venue, il me pria de prendre mon repas chez lui ; je n’en fis pas grande difficulté, car j’avois peur qu’il ne cessât de m’en supplier avec une si grande instance, et rien ne m’étoit tant à désirer que de demeurer en sa maison. Il fut soigneux de s’enquérir de ma patrie et de la condition de mes parens ; je lui forgeai la-dessus des bourdes nonpareilles.

Les discours que je lui tins après ne furent que de foi, de