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Page:Sorel - La Vraie histoire comique de Francion.djvu/538

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ainsi de leur vie débauchée le plus tôt qu’ils pourroient, afin de ne plus servir de mauvais exemple. Tout le soir se passa dans ces considérations, et le lendemain chacun se fit brave[1], pour assister au mariage qui se fit de lui et de Nays. L’on fut bien aise d’apprendre que ce jour-là Ergaste épousoit aussi Émilie. Toutefois, quant à lui, quoiqu’il l’estimât fort belle et fort pleine de mérite, il avoit une certaine répugnance à l’épouser, lorsqu’il se souvenoit que Francion l’avoit fréquentée. Il se persuadoit qu’il avoit peut-être joui d’elle, et son regret étoit de ce qu’il avoit servi à cela. Ce remords étoit suffisant pour le punir ; mais encore l’étoit-il plus doucement que Valère, qui le jour même fut envoyé en exil, pour avoir été convaincu d’avoir fait de la fausse monnaie. Corsègue et le dénonciateur, qui l’avoient servi en ses mauvaises pratiques, furent condamnés aux galères. Pour Bergamin et Salviati, qui avoient voulu tromper Francion d’une autre sorte, ils n’avoient pas fait si grand mal : l’on les laissa sans autre punition que de leur propre misère. Ces autres, qui étoient jugés rigoureusement, avoient encore fait d’autres crimes que leur dernière tromperie. L’on pendit aussi ce jour-là un coupeur de bourses, qui, ayant dit pour sa défense qu’il n’étoit pas de ceux qui dérobent l’argent des autres, et qu’au contraire il en avoit mis beaucoup deux jours auparavant dedans la pochette d’un François, fut interrogé là-dessus plus amplement, et l’on connut que c’étoit celui que Corsègue avoit aposté pour faire trouver de fausses pièces entre les mains de Francion ; de sorte que son innocence fut ainsi pleinement justifiée, au contentement de tous ceux qui le connoissoient, et particulièrement de ceux qui étoient à sa noce, parmi lesquels toutes ces nouvelles coururent. Il n’y avoit pas pourtant grande compagnie : il n’y avoit que ses amis plus intimes et les plus proches parens de Nays, parce que ce n’est pas la coutume que l’on assemble beaucoup de monde au mariage d’une veuve, ni que l’on y fasse beaucoup de magnificences. La principale joie étoit pour les nouveaux mariés ; il suffisoit qu’ils fussent contens et qu’ils jouissent des plaisirs qui leur étoient légitimement accordés. Afin donc que personne ne semble participer à leur contentement, nous

  1. Se faire brave correspond à l’expression populaire se faire beau.