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Page:Sorel - La Vraie histoire comique de Francion.djvu/65

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l’ouïr discourir avec tant de franchise, et que tout ce qu’il avoit à souhaiter étoit qu’elle parlât bientôt de Laurette.

Toutes choses auront leur lieu, répliqua-t-elle ; vous n’aurez point de sujet de vous ennuyer. Le serviteur de M. de la Fontaine, étant, entré en mes bonnes grâces, y gagna petit à petit une place plus grande que son maître, parce que l’égalité de nos conditions faisoit que je parlois plus familièrement à lui. Enfin, je ne divisai plus mon cœur en deux parts, je le lui donnai entièrement.

J’eus le vent que mon maître, persuadé par ses amis de quitter sa manière de vie, étoit en termes de se marier. Sa délibération m’en fit prendre une à mon profit, d’autant que je me figurai que lui et la femme qu’il alloit prendre me chasseroient honteusement de la maison. Pour remédier à ce mal, je me délibérai de faire un coup de ma main qui me payât de mes gages, et de faire un trou à la nuit, comme dit le proverbe. Je communiquai mon dessein à Marsaut, qui étoit notre valet, lequel fut tout disposé à me suivre. Mon maître, quelques jours après, fut sollicité de prendre mille livres que l’on lui vouloit donner pour racheter une rente de lui ; je les vis conter pièce à pièce, et fis tant, que je découvris que, n’étant guère bien meublé en sa maison, il s’étoit contenté de les serrer en son buffet.

La fortune me montroit un visage aussi riant que j’eusse sçu désirer ; car il fut prié d’aller souper en la ferme d’un gentilhomme champêtre, à une grande lieue de la sienne. Dès qu’il fut parti, Marsaut retourna le buffet, et, ayant levé un ais du derrière, en tira la somme entière, puis le raccommoda le mieux qu’il put. Ce qui nous étoit grandement favorable, c’est que c’étoient quasi toutes pièces d’or ; de sorte qu’il me fut facile de faire tenir tout dans une petite boîte.

Sur les neuf heures du soir, nous descendîmes dans le jardin pour sortir par la porte de derrière ; et déjà Marsaut étoit dehors, lorsque j’entendis que mon maître heurtoit à la grande porte : j’eus si peur qu’il me surprît, que je fermai celle du jardin, et m’en revins à la maison, craignant d’être saisie avec l’argent que j’avois ; je m’en allai le cacher la nuit dans une vigne qui étoit en notre clos, où je sçavois bien que l’on n’entreroit de longtemps. Le lendemain, mon maî-