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Page:Sorel - La Vraie histoire comique de Francion.djvu/81

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eussent voulu nous faire réjouir ensemble, ils nous menèrent à l’hôtel de Bourgogne ; mais sçachez que ces drôles avoient parlé auparavant aux comédiens et leur avoient appris le combat des commissaires, qui fut tout le sujet de leur farce. Voyant que l’on se moquoit ainsi d’eux, ils se proposèrent d’en avoir la raison ; et, quoiqu’ils nous quittassent sans témoigner leur colère, ils résolurent de nous ruiner, et firent la paix ensemble pour se rendre plus puissans contre nous quand l’occasion se présenteroit. Nous n’attendîmes pas qu’ils en vinssent là ; et, pour nous mettre à l’abri du malheur, nous abandonnâmes ce quartier, où nous avions une bonne chalandise.

Nous nous retirâmes aux faubourgs, en une méchante maison fort éloignée, où nous regrettâmes bien la bonne chère que nous avions faite par le passé, car nous en faisions alors une bien maigre, n’ayant rien autre chose que quelque peu d’argent que nous avions épargné, qui étoit le reste de nos trop somptueuses dépenses. Cette chétive vie fut, je pense, la principale cause d’une grande indisposition qui prit à Perrette ; comme elle étoit merveilleusement triste de se voir ainsi déchue, la bonne dame se sentoit bien défaillir un peu ; c’est pourquoi elle fit ce que l’on a accoutumé de faire en cette extrémité. Moi, qui étois comme sa fille, je reçus d’elle des témoignages apparents de bienveillance ; de toutes choses qu’elle savoit, elle n’en oublia pas une à me dire, et me donna des conseils dont je me suis bien servie depuis. Pour ne vous point mentir, il n’y avoit aucun scrupule en elle ni aucune superstition ; elle vivoit si rondement, que je m’imagine que, si ce que l’on dit de l’autre monde est vrai, les autres âmes jouent maintenant à la boule de la sienne. Elle ne savoit non plus ce que c’étoit des cas de conscience qu’un topinambour, parce qu’elle disoit que, si l’on lui en avoit appris autrefois quelque peu, elle l’avoit oublié, comme une chose qui ne sert qu’à troubler le repos. Souvent elle m’avoit dit que les biens de la terre sont si communs, qu’ils ne doivent être non plus à une personne qu’à l’autre, et que c’est très-sagement fait de les ravir subtilement, quand l’on peut, des mains d’autrui ; car, disoit-elle, je suis venue toute nue en ce monde, et nue je m’en retournerai : les biens que j’ai pris d’autrui je ne les emporterai point ; que l’on les aille chercher où ils sont, et que l’on les prenne, je n’en ai que faire. Hé quoi ! si j’étois