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Page:Sorel - La Vraie histoire comique de Francion.djvu/93

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qu’au commencement elle ne voulût pas permettre que celui qui l’avoit trompée la touchât en aucune façon, à la fin, considérant ses qualités éminentes et le bon traitement qu’il lui faisoit, elle se laissa apprivoiser. Cependant j’étois bien en peine d’elle, et tout mon exercice étoit de m’enquêter si elle n’étoit point chez quelqu’un de ceux qui lui avoient fait l’amour.

Le troisième jour d’après celui de sa perte, je rencontrai un honnête homme de ma connoissance, qui m’apprit le lieu où elle étoit. Je m’y en allai tout de ce pas, et demandai à parler à Alidan, à qui je dis que l’on m’avoit assuré que c’étoit lui qui m’avoit fait ravir une certaine nièce qui vivoit avec moi, et je le suppliai de m’excuser si je prenois la hardiesse de lui venir demander si cela étoit vrai. Après qu’il me l’eut nié, je lui dis : Monsieur, il n’y a qu’un mot qui serve, vous n’avez que faire de me la celer, car aussi bien ne la veux-je pas ravoir, elle est en trop bonne main. Je viens ici seulement pour vous déclarer qu’il ne falloit point que vous vous servissiez de tromperie ni de violence, parce que, si vous me l’eussiez demandée, je vous l’eusse donnée de bon gré.

M’ayant ouï parler avec une liberté si grande, il me découvrit ce qui en étoit ; et, m’ayant fait donner une récompense, dont je me contentai, me mena voir Laurette en son corps de logis de derrière. Elle me fit des excuses, sur ce qu’elle ne m’avoit point mandé de ses nouvelles, et me dit qu’elle n’avoit sçu le faire en façon quelconque. Ce m’étoit une chose bien fâcheuse d’être privée de sa compagnie, et néanmoins la nécessité m’apprit à m’y résoudre. Tantôt Alidan l’envoyoit aux champs, tantôt il la faisoit venir à la ville, et il la faisoit souvent loger ailleurs que dans sa maison. C’étoit alors que je l’allois visiter bien familièrement, et que je faisois bien avec elle mes petites affaires, sans que personne en sçût rien. Autant de mille écus que j’y ai mené de fois de jeunes drôles, qui jouissoient d’elle, tandis que celui qui étoit son maître et son serviteur tout ensemble croyoit qu’elle ne pouvoit faire ouvrir la serrure dont il portoit la clef.

Enfin, comme l’on se lasse d’être nourri toujours d’une même viande, il n’a plus tant adoré les appas de Laurette, et, ne voulant pas néanmoins la quitter tout à fait, mais désirant retâter sans scandale de son mets ordinaire quand bon lui