Page:Sorel - Réflexions sur la violence.djvu/351

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d’annuler des unions gênantes pour des motifs cocasses : « Est-ce qu’un homme sérieux, demande ironiquement Proudhon, un esprit grave, un vrai chrétien, peut se soucier de l’amour de sa femme ?… passe encore si le mari qui demande le divorce, si la femme qui se sépare, alléguait le refus du debitum : alors il y aurait lieu à rupture, le service pour lequel le mariage est octroyé n’étant pas rempli[1]. »

Notre civilisation en étant venue à faire consister presque toute la morale dans des valeurs dérivées de celles qu’on observe dans la famille normalement constituée, de là sont sorties deux très graves conséquences : 1° on s’est demandé si, au lieu de regarder la famille comme étant l’application de théories morales, il ne serait pas plus exact de dire que celle-ci est la base de ces théories ; 2° il a semblé que l’église étant devenue incompétente sur l’union sexuelle, devait l’être aussi en morale. C’est bien à ces conclusions que Proudhon aboutissait : « La nature a donné pour organe à la Justice la dualité sexuelle… Produire de la Justice, tel est le but supérieur de la division androgyne : la génération et ce qui s’en suit, ne figure plus ici que comme accessoire[2]. » — « Le mariage, par son principe et sa destination, étant l’organe même du droit humain, la négation

  1. Proudhon. op. cit., tome IV. p. 99. — On sait que les théologiens n'aiment pas beaucoup que les curieux consultent leurs auteurs sur le devoir conjugal et sur la manière légitime de le remplir.
  2. Proudhon, loc. cit., p. 212.