Page:Sorel - Réflexions sur la violence.djvu/47

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d’après une loi plus ou moins mécanique, vers divers motifs donnés par la nature. Quand nous agissons, c’est que nous avons créé un monde tout artificiel, placé en avant du présent, formé de mouvements qui dépendent de nous. Ainsi notre liberté devient parfaitement intelligible. Ces constructions, embrassant tout ce qui nous intéresse, quelques philosophes, qui s’inspirent des doctrines bergsoniennes, ont été amenés à une théorie qui n’est pas sans surprendre quelque peu. « Notre vrai corps, dit par exemple Éd. Le Roy, c’est l’univers entier en tant que vécu par nous. Et ce que le sens commun appelle plus strictement notre corps, en est seulement la région de moindre inconscience et d’activité plus libre, la partie sur laquelle nous avons directement prise et par laquelle nous pouvons agir sur le reste »[1]. Il ne faut pas confondre, comme fait constamment ce subtil philosophe, ce qui est un état fugace de notre activité volontaire, avec les affirmations stables de la science[2].

Ces mondes artificiels disparaissent généralement de notre esprit sans laisser de souvenirs ; mais quand des masses se passionnent, alors on peut décrire un tableau, qui constitue un mythe social.

La foi à la gloire, dont Renan fait un si grand éloge, s’évanouit rapidement dans des rapsodies quand elle n’est pas entretenue par des mythes qui ont beaucoup varié suivant les époques : le citoyen des républiques

  1. Éd. Le Roy, Dogme et Critique, p. 239.
  2. On apercoit facilement le pont par lequel s’introduit le sophisme : l’univers vécu par nous peut être le monde réel ou le monde inventé pour l’action.