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HISTOIRE DU PARNASSE

la critique actuelle[1]. M. Siciliano, qui plaide pour son héros, cite comme un jugement sûr le mot de Jules Lemaître : « il a polychromé les dieux grecs[2] ». Il les a plutôt chromo-lithographies.

Il y avait entre Théodore de Banville et Leconte de Lisle tant de frottements durs qu’il en était venu à prendre en horreur ce mot de Parnasse : « qu’est-ce que cela signifiait, parnassien, ou néoparnassien ? Personne au monde n’a jamais su ce que ce mot-là veut dire[3] ». Il y a dans cette Ecole quelque chose qui lui déplaît beaucoup plus : c’est ce mouvement de désaffection, de désertion, qui isole V. Hugo : Banville voit les anciens hugolâtres peu à peu renier leur foi :


Tant que je vivrai sous les grands cieux qui se dorent,
Ô Père, je serai parmi ceux qui t’adorent,
Fidèles, et s’il n’en reste qu’un, je serai
Celui-là, plein d’amour et le cœur ulcéré.


Ce dernier mot est bien un cri du cœur ; la mort de Hugo a fait éclater au grand jour les vrais sentiments des Parnassiens, cachés jusque-là par la pénombre de leur petite chapelle : aussi lance-t-il à ses anciens camarades un « Bonsoir, messieurs » qui ne manque pas d’allure :


À présent qu’il n’est plus, nous pouvons être grands.
Puisqu’il prenait nos parts d’orgueil et de lumière,
Brillons ! notre place est à présent la première.
Nous serions comme lui bientôt, si nous voulions.
Frères, être un berger d’aigles et de lions,
Un Hugo, ce n’est pas du tout la mer à boire :
C’est un peu de génie avec un peu de gloire,
Et le vent de l’exil parmi des cheveux blancs.
— C’est ainsi que ces nains heureux, jadis tremblants,
Exultaient. Ils disaient : Tout doit finir, en somme.

Voici longtemps déjà qu’on admire cet homme.
Assez. Ne suivez plus la trace de ses pas.
Allons ailleurs. — Pardon, messieurs, je n’en suis pas[4].


  1. Alfred Poizat, Revue Bleue du 19 mai 1923, p. 331 ; Marsan, La Bataille romantique II, 228-230.
  2. Dal Romanticismo, p. 37, note.
  3. Critiques, p. 65-66, 182.
  4. Dans la Fournaise, p. 42-43.