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HISTOIRE DU PARNASSE

son paganisme sensuel[1] ; mais ils ne le purifient pas, et le mélange est gênant : dans la même page, il chante :


Jeanne écoutant ses voix, Ange qui nous secourt,



puis :


L’épouvante, l’oubli des dieux, l’inquiétude[2].


Dans Les Occidentales, en 1869, le marguillier de Saint-Germain-des-Prés raille les dévots, Veuillot, Mgr Dupanloup, puis, mis en goût de combativité, il laisse là le goupillon pour flétrir le sabre, le chassepot, la mitrailleuse, la caserne, l’armée[3]. Visiblement Les Châtiments lui ont monté à la tête. Après ce transport, il bat sa coulpe en 1870 dans les Idylles prussiennes. Les Parnassiens pourraient l’accuser de duplicité, et ils auraient tort ; mais, pour un témoin impartial, de telles volte-face sont de l’inconsistance de convictions.

Comme penseur, Théodore de Banville n’existe pas. Je ne vois guère que deux critiques qui s’attardent à louer sa force intellectuelle. M. Jean Aubry admire « la spontanéité et la puissance de son génie[4] ». M. Siciliano voit en lui un philosophe humanitaire, un poète militant, un chantre de la douleur, etc.[5] ; sans doute, il fait des citations habiles, trop habiles même, car, en les séparant du contexte, il donne une valeur disproportionnée à des idées qui ne font qu’apparaître un instant dans l’œuvre de Banville, et sont noyées tout de suite dans des flots de mousse pétillante.

En général, on convient qu’il n’y a chez ce virtuose rien de profond ni de nouveau ; ses vers semblent monter assez haut, parce qu’ils sont légers et vides[6]. Le poète n’en disconvient pas : c’est tout juste s’il ne tire pas de cet aveu une loi littéraire. Il reproche aux Symbolistes de manquer de substance, puis il reconnaît que c’est bien leur droit : « au surplus, dit-il, ne m’a-t-on pas accusé du même défaut[7] ? » Ce serait peine perdue que de chercher à établir l’esthétique du poète : elle se compose de quelques contradictions. Il semble, en 1878, déclarer la guerre à l’art du Parnasse,

  1. Les Exilés, p. 7.
  2. Dans la Fournaise, p. 25.
  3. Occidentales, pp. 256-260, 295-297, 262, 264, 286-288, 313, 317, 321-322.
  4. Correspondant du 10 mars 1923, p. 847.
  5. Dal Romanticismo, passim.
  6. Raoul Rosière, Revue Bleue du 24 novembre 1894, p. 642 ; Poizat, Correspondant du 10 novembre 1918, p. 461.
  7. Critiques, préface de Barrucand, p. xxiii.