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À CÔTÉ DU PARNASSE

tant[1] ! » Ce n’est pas une raison pour forcer l’éloge. Mendès fausse la balance littéraire, et Remy de Gourmont approuve : « Glatigny est le pivot du Parnasse[2] ». Gourmont ne savait pas que Mendès, toujours machiavélique, était seul de cet avis ; que les parnassiens qualifiés pensaient tout autrement. Calmettes donne l’opinion moyenne : « humoriste vagâbond, que Catulle Mendès appela le premier des Parnassiens, le premier en date, je suppose, et non en valeur poétique… Glatigny fut un cerveau très modeste[3] ». Dans son Rapport, Gautier le cite en courant, au moment où il lit la fin de son palmarès, et déblaie[4]. Sully Prudhomme, qui lui sera miséricordieux après sa mort, est d’abord froissé par l’indélicatesse du bohème : pour guérir son ami Coppée de sa tendance à mélanger le sentiment et l’amour charnel, il lui cite l’exemple de Glatigny qui aborde « carrément la sensation dans toute sa nudité[5] ».

Ces intellectuels sont surtout sensibles à la médiocrité de son effort cérébral : d’après de Fourcaud, « ce prodigue, qui avait de l’or dans la tête,… l’a gaspillé en petite monnaie[6] ». Anatole France est plus dur encore ; on peut dire qu’il s’acharne sur Glatigny : il en parle dans La Vie Littéraire, dans Le Génie Latin ; il écrit, pour Lemerre, la notice en tête des œuvres de Glatigny ; il la découpe en petits morceaux pour en faire six colonnes du Figaro littéraire[7]. Suivant sa méthode cauteleuse il mélange l’éloge et l’ironie ; il diminue son patient après l’avoir loué « ce pauvre diable avait un bon et grand cœur. Au milieu de ses prodigieuses illusions, il était enflammé de toutes sortes de belles amitiés. Il se montra toujours reconnaissant envers les poètes auxquels il emprunta son gai savoir, et la révélation de son génie ». Le mot final semble sauver le reste, mais l’impression d’ensemble, après ce jugement, est péjorative :


Jamais marquis voyant son carrosse broncher
N’a plus superbement tutoyé son cocher


que France toisant dédaigneusement ce « Panurge dans la lune[8] ».

  1. Rapport, p. 121.
  2. Promenades littéraires, V, 46.
  3. Leconte de Lisle et ses Amis, p. 249.
  4. Rapport, p. 379.
  5. Poésie, Épaves, p. 157-158 ; Monval, Correspondant du 25 septembre 1927, p. 820.
  6. Rocheblave, Louis de Fourcaud, p. 322.
  7. Supplément littéraire du Figaro du 2 août 1924.
  8. Le Génie latin, p. 376 ; cf. G. des Hons, Anatole France et Jean Racine, p. 77-78.