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LIVRE III
VERS LE PARNASSE

CHAPITRE PREMIER
Villiers de l’Isle-Adam

On connaît cette étrange figure, et comment ce bohème se guindait aux plus hautes prétentions nobiliaires[1]. On sait maintenant qu’il n’avait aucun lien avec la famille de Villiers qui compte au nombre de ses ancêtres un des plus fameux parmi les Grands Maîtres de l’Ordre de Jérusalem, et qu’il descendait tout simplement de la basoche parisienne[2]. Il étale, dans les grandes occasions, au mariage de Catulle Mendès par exemple, toute une ferblanterie apocryphe qui fait rire[3]. Mais son imagination est si forte qu’il est le premier trompé : il croit à ses décorations comme à sa filiation ; à l’agonie, son dernier mot, son dernier cri, c’est : Malte[4] ! Et c’est peut-être cette foi baroque qui l’empêche de tomber plus bas que la bohème. Il poitrine si avantageusement qu’on oublie de remarquer que son linge est douteux[5]. Il parle si bien que Baudelaire lui pardonne de s’être présenté ivre à leur première entrevue[6]. Mais tout le monde n’a pas cette indulgence. Un jour, à Munich, à une soirée donnée par la comtesse Muchanoff, l’héroïne de la Symphonie en blanc majeur, Villiers, qui est en train de lire des vers avec grand succès, tout à coup se tait, laisse tomber son manuscrit, écarquillé les yeux avec effroi, et, sentant venir un spasme du cœur, exécute en plein salon les précautions recom-

  1. Calmettes, p. 162 ; Martineau, Mercure de France, Ier mai 1908, p. 62, sqq.
  2. Max Prinet, Mercure de France, Ier août 1928, p. 586.
  3. Calmettes, p. 194.
  4. Carnets inédits de R. de Montesquiou dans Les Nouvelles Littéraires du 21 juillet 1928.
  5. Calmettes, p. 190.
  6. Crépet, Baudelaire, p. 443-444.