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VERS LE PARNASSE

monie du vers qui vaut celle des plus grands maîtres. Dans « sourire pâle » des Soirs moroses, il y a une trouvaille : un vers sans rythme, un vers invertébré, qui est la forme parfaitement adéquate de l’idée à exprimer :


Incertaine comme un oiseau qui va partir,
Faiblement une joie éclôt


Mendès est donc une force littéraire par ses réceptions, par ses revues, par son talent. Ce qui lui donne toute son influence, c’est son amour de la poésie. Il adore les beaux vers, les siens d’abord, bien entendu, mais aussi ceux des autres. J’ai assez insisté, comme il le fallait, sur ses défauts, pour mettre en lumière sa grande qualité, sa vertu, son unique vertu ; et puisqu’on a dit beaucoup de mal de lui, citons in extenso un témoin à décharge, Courteline : « De beaux vers ! Évidemment, oui, d’autres que lui en auront écrit… Mais il est une chose hors de doute : c’est que nul ne pourra se faire gloire d’avoir aimé les vers plus que lui. J’en appelle à ceux de ses amis qui l’ont entendu derrière eux sangloter dans la nuit confuse d’une baignoire tandis que Silvain, sur son départ, se plaint de quitter Grisélidis, ou qui l’ont vu avec terreur scandaliser tout un quartier…, hurler de joie, répéter vingt-cinq fois de suite : « Ah ! mon ami !… Ah ! mon ami… » parce qu’en feuilletant une revue il est tombé sur un sonnet de Léon Dierx, de Silvestre ou de Heredia[1] ». Est-ce une exagération amicale ? Voici ce que Mendès écrit à Rostand après avoir lu Un Soir à Hernani : « votre poème me rend fou de joie. Ah ! mon ami ! que c’est beau, que c’est charmant, que c’est puissant, tendre, exquis et sublime ! Je suis fier de vous aimer[2] ». Est-ce une exagération d’oraison funèbre, cet adieu de Courteline au compagnon mort, « le plus fidèle de mes amis,…le plus délicieux de mes camarades, et auquel je dois simplement tout, depuis l’argent que j’ai dans ma poche, jusqu’au peu de français que je parle » ? C’est exactement ce que dit Verlaine dans ses Confessions, quand il le retrouve, « plus gentil que jamais envers ses camarades,… homme exquis, si simple et si sincère quand on est son intime[3] ». Mendès n’a laissé que de bons souvenirs à Frédéric Plessis, qui vante son obligeance, sa bonne camaraderie, son zèle

  1. Les Annales du 14 février 1909, p. 157.
  2. Paul Faure, Vingt ans d’Intimité, p. 70.
  3. Verlaine, V, 95-97.