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LE PARNASSE

coûte dix-huit francs ! Le père n’en revient pas : — Charles fume, malgré sa défense[1] ! — Et puis,


Rengrégement de mal, surcroît de désespoir,


l’année de droit se termine par un désastre aux examens. Le père envoie une lettre de reproches, de menaces, que l’avoué transmet au coupable, en y joignant pour son compte une mercuriale sèche : le jeune homme répond à son oncle en lui offrant ses excuses, mais il se rebiffe et s’indigne contre son père : celui-ci s’est plaint de perdre l’argent qu’il dépense pour un tel fils : « les menaces de mon père ne peuvent exister pour moi ; je ne vois pas leur effet, mais leur cause. Je ne veux être à charge à personne ». Ce dernier reproche l’a blessé si profondément qu’il répond par une menace de suicide à peine voilée : « si mes efforts sont vains, si je ne puis me réhabiliter dans le cœur de ceux qui m’aimaient, Dieu n’a pas fait en vain l’homme tout-puissant[2] ». La riposte familiale ne tarde pas : c’est l’ultima ratio des pères d’autrefois : l’ancien chirurgien de Napoléon coupe les vivres à son fils, et c’est pour Charles brusquement la misère ; il en est réduit à avouer sa détresse à son ami Rouffet : « j’ai une prière à vous faire ; c’est de ne m’écrire que lorsque vous pourrez affranchir vos lettres ; car on refuse de les payer pour moi, et je ne possède plus un centime[3] ». Pendant toute l’année 1840, Charles n’écrit pas une seule fois à l’Île.

Les choses se gâtent de plus en plus. La famille veut le faire revenir à Bourbon ; Leconte de Lisle ne veut rien entendre On ne lui envoie plus que des subsides irréguliers, juste de quoi l’empêcher de mourir de faim. L’année 1842 est affreuse. Exaspéré par les remontrances de son père, par la dureté de son oncle, Charles devient un véritable révolté, en rupture avec la société ; il est maintenant la bête noire du monde des magistrats et des professeurs ; il les considère comme de sinistres imbéciles, parce qu’ils n’adorent pas le beau comme lui. Pour se venger, il veut fonder avec l’aide d’un de ses camarades, fils d’un riche notaire, un journal satirique dont le titre est tout un programme, Le Scorpion. Leur imprimeur, effrayé par les diffamations du premier numéro, refuse de le publier : ils

  1. Tiercelin, Bretons de Lettres, p. 87 ; cf. Revue Bleue, 10 juillet 1897, p. 39, 40.
  2. Tiercelin, article cité, p. 640.
  3. Premières Poésies, p. 197, 200.