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HISTOIRE DU PARNASSE

bel et bien, 10.080 heures de misère, et 604.800 minutes infernales !

Il cherchait un refuge dans un vague socialisme à la George Sand[1]. Pendant qu’il hésitait sur sa voie, le journal phalanstérien, La Démocratie Pacifique, organe de l’École Sociétaire, lui fit des propositions par l’intermédiaire d’un ami de Nantes ; après quelques hésitations, il accepta les conditions : dix-huit cents francs d’appointements par an, et l’impression aux frais de l’École d’un volume de vers qu’il tenait tout prêt. Il ne lui restait plus qu’à quitter Bourbon pour toujours, n’emportant de ce dernier séjour que les deux idées qui domineront toute son œuvre, « l’horreur de la cruauté humaine, l’amour de la nature pacifiante[2] ».

Puis, c’est la monotone traversée, avec l’escale obligée à Sainte-Hélène ; là, il éprouve une impression nouvelle, parce qu’il a grandi depuis le précédent voyage : « c’est, dit-il, comme un immense cercueil fixé au milieu de l’Océan[3] ». Sa sensibilité se développe ; un soir que le navire longe d’assez près la côte, on entend sur la grève des chiens aboyer à la lune : leur plainte se fixe dans sa mémoire, et deviendra, dix ans plus tard, cette pièce d’une beauté sauvage, les Hurleurs[4]. Mais à ce moment-ci, il songe plutôt à supprimer ses premières ébauches que son sens critique mieux averti lui fait condamner. Pendant cette ultime traversée, il déchire et lance à la mer un bon millier de vers[5]. Il jette par-dessus bord bien d’autres choses encore, et ce qui lui restait de foi : dans la Rivière des Songes, il décrit, du milieu de la baie, la ville du Cap, « avec ses grandes casernes blanches, ses maisons peintes,… et son église catholique, dont la croix d’or monte dans le ciel bien au-dessus de tout ce qui l’environne, image stérile d’une splendeur éteinte[6] ». Après la foi, la haine de la foi, une haine féroce, dit Mendès[7] ; elle n’a rien de livresque ; quoi qu’on en ait dit, elle ne procède ni de Voltaire, ni de Byron, ni de Dostoiewski, mais de l’écroulement de toutes ses confiances, de toutes ses affections, entre 1842 et 1845[8]. C’est une maladie mortelle de la croyance, bien connue, presque cataloguée,

  1. Leblond, p. 148-160.
  2. Dornis, R. D. D.-M., 15 mai 1895, p. 326.
  3. H. Houssaye à l’Académie, 12 décembre 1895.
  4. Poèmes Barbares, p. 171-172 ; Calmettes, p. 263.
  5. Dornis, R. D. D.-M., 15 mai 1895, p. 327.
  6. Contes en Prose, p. 175.
  7. Rapport, p. 98.
  8. Massac, Revue de Littérature comparée, octobre 1924, p. 620 sqq.