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LE PARNASSE

et sont morts pour le triomphe de la justice et du droit, et que nous sommes leurs héritiers[1] ».

Il y a dans cette colère une part de générosité puisqu’il défend les petits, les faibles, les victimes de l’injustice, puisqu’il se révolte contre l’oppression, puisque bouillonne en lui dès 1846 la lave qui, vingt-trois ans après, se figera et deviendra Kaïn[2]. Mais aussi que d’illusions dangereuses ! Et comment a-t-il pu écrire, le 31 juillet 1846 : « L’École sociétaire, dont je fais partie,… est venue fonder le droit du pauvre… au bonheur[3] ! » Comment cette intelligence, aiguë et tranchante comme un bistouri, n’a-t-elle pas percé et dégonflé cette redoutable chimère, le droit de tous au bonheur ? Nul n’y a droit ; bien peu le réalisent, car le bonheur purement humain comprend la santé, la fortune, et une sensibilité multiforme. Mais Leçon te de Lisle n’est plus son maître : il est entraîné par un parti ; ses colères, ses rancunes, ses souffrances le lancent aux premiers rangs des exaltés. Ses lettres intimes sont plus violentes que ses articles : le 31 juillet 1846, il annonce le grand soir : « la guerre sociale est là qui frappe au seuil des palais, les bras nus, l’œil sanglant, l’écume de la faim aux lèvres,… plus effrayante mille fois que 93[4] ». Le fanatisme révolutionnaire l’énivre ; il aspire à la guerre civile, et, dans un élan de foi rouge, il s’exclame : « avec quelle joie je descendrai de la calme contemplation des choses pour prendre ma part du combat, et voir de quelle couleur est le sang des lâches et des brutes. Les temps approchent à grands pas, et, plus ils avancent, plus je sens que je suis l’enfant de la Convention, et que l’œuvre de mort n’a pas été finie[5] ».

Enfin, voici 48, et ses amis au pouvoir. Il a un moment de faiblesse, peut-être de piété filiale, et demande en juillet au Ministre de l’instruction Publique la chaire d’histoire du collège de la Réunion. Cette lettre est intéressante, car elle nous donne son adresse, 14, rue Jacob, et la liste de ses relations : quatre représentants du peuple, dont V. Considérant et Jean Reynaud ; Auguste Comte, professeur à l’École Polytechnique, « M. de Béranger, le poète ». C’étaient de puissants personnages, au bras long ; L. de Lisle aurait pu être nommé, s’enfouir au collège de l’île, et l’on voit

  1. Cité par M. A. Leblond, p. 197-198.
  2. Demont-Breton, II, 137-146 ; Ourliac, in Mercure de France, 15 août 1928, p. 13.
  3. Cité par M. A. Leblond, p. 169.
  4. P. p. Dornis, Essai, p. 112.
  5. M. A. Leblond, p. 225, note.