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LE PARNASSE

semble souvent gênée ; il n’a que des demi-audaces : il voudrait parler de la théologie païenne ; il voudrait, littéralement, restaurer la religion grecque jusques et y comprise la crémation. Mais un candidat au doctorat, sous l’Empire, doit être prudent : Ménard bat vite en retraite[1] : « le polythéisme est trop opposé aux mœurs des peuples modernes pour qu’on puisse supposer qu’il renaîtra jamais de ses cendres… Le passé est mort, et ne peut revivre[2] ». N’y a-t-il pas là un soupir, un quanquam ô ?

Croit-il vraiment à la mort des dieux ? Il donne librement toute sa pensée dans ses Rêveries d’un Païen mystique. Le titre déjà est une vraie trouvaille ; le livre est puissamment écrit. On a cru quelque temps que le pastiche de Diderot, qui figure au début, était du véritable Diderot, et du meilleur[3]. Les Rêveries contiennent les audaces que Ménard a supprimées dans sa thèse : se refusant à reconnaître la transcendance du christianisme, il veut le faire rentrer dans le rang, dans le rang des religions mortes[4]. Voilà tout son mysticisme, tandis que son paganisme est surtout la haine de l’Église, dans la note des Châtiments[5]. Il préfère au Christ les dieux grecs qu’il considère comme toujours vivants, au point que son ami Barrès se rebiffe : tout de même, réplique-t-il, « nous n’allons pas recommencer les mystères d’Éleusis[6] ! » Ce vieil alchimiste est inquiétant ; ce Faust qui est capable de tourner de beaux vers en l’honneur de sa maîtresse, la République Rouge, a dans les yeux une ironie à la Méphistophélès. Désespérant de remplacer immédiatement le christianisme par le culte des morts, il se réfugie dans l’ancienne religion grecque : « les théocraties pétrifiantes des races agenouillées ne prennent pas racine sur le sol béni de la Grèce[7] ».

Telle était sa philosophie, qui présentait quelques dangers pour les autres : un de ses disciples, Lamé, se jeta par la fenêtre en s’écriant : « je m’élance dans l’éternité ! » Droz n’en revenait pas : — je savais qu’il était fou, disait-il à Ménard, mais je croyais que c’était comme vous[8].

  1. De la Morale, p. 4, 35, 32, 108-192.
  2. Ibid., p. 35-36.
  3. Gourmont, Promenades, IV, 168.
  4. Rêveries, p. x-xi, 207-208.
  5. Berthelot, Ménard, p. 236.
  6. Tharaud, Mes Années, p. 227 ; cf. Jules Lemaître, Revue Bleue du 15 décembre 1883, p. 739. Georges Perrot l’a entendu, chez Guillaume Guizot, exposer « la nécessité de revenir au polythéisme et d’en rétablir le culte ». Tombeau de Louis Ménard, p. 130.
  7. Berthelot, Ménard, p. 207.
  8. Berthelot, Revue de Paris, Ier juin 1901, p. 585.