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HISTOIRE DU PARNASSE

Esclaves, les Anachorètes, et même les Morts qui attendent la réalisation de la Promesse ; Euphorion reste debout, et blasphème :


Quel souffle loin du Ciel chasse donc la prière ?
T’endors-tu donc au chant des séraphins en chœur ?
Meurs-tu pour racheter les fils d’une autre terre
          Sur un autre Calvaire ?
          Ou donc es-tu, Seigneur ?


L’église s’écroule ; et tandis que les statues des anges, les saints des vitraux, s’envolent en maudissant le blasphémateur, Euphorion invoque le Néant.

Qu’est-ce donc que Jésus pour l’auteur des Poèmes ? Il le met sur le même rang que Kriçna et que Çakia-Mouni ; c’est, dit-il « le Bouddha juif ». Il essaye de le faire entrer dans son Panthéon grec, et, dans son effort, il fausse l’histoire : pour rattacher la doctrine de Jésus à la philosophie grecque, il ose écrire ceci : « nous le reconnaissons aussi, disent les sages de la Grèce, c’est le Verbe de la sagesse incréée, cette lumière qui illumine tout homme venant en ce monde, et qui était apparue sous la forme d’une vierge armée, sortie du front de Zeus, avant de s’incarner dans le sein d’une vierge juive[1] ». Il oublie, ou feint d’oublier, que les sages de la Grèce se refusèrent obstinément à écouter saint Paul leur prêchant le Dieu Inconnu : « lorsqu’ils entendirent parler de la résurrection des morts, les uns s’en moquèrent, et les autres dirent : — Nous vous entendrons une autre fois sur ce point. — Alors Paul sortit de leur assemblée[2] ». Mais l’excellent philologue qui connaît si bien les plus obscurs grammairiens grecs, connaît mal la religion qu’il attaque en se jouant : Dieu est trop haut pour que nos humbles prières montent jusqu’à son trône : « qui les portera jusqu’à lui ? Ce sera sa Mère, l’idéal féminin des races chevaleresques du moyen âge, la divinité propice et lumineuse que nul n’invoquera en vain[3] ». Dans l’excès de son zèle mal informé, Ménard accorde à la Sainte Vierge les honneurs de l’apothéose ! Son livre s’achève par le Panthéon, musée ou nécropole des dieux. Prométhée et Jésus y sont fraternellement réunis :


        Car c’est là qu’un Dieu s’offre en sacrifice ;
Il faut le bec sanglant du vautour éternel
Ou l’infâme gibet de l’éternel supplice
        Pour faire monter l’âme humaine au ciel…


  1. Préface des Poèmes, p. x-xi.
  2. Actes, ch. xvii, v. 32-33.
  3. Préface, p. xiii.