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HISTOIRE DU PARNASSE

tout, d’une beauté originale. On peut rapprocher La Fille aux cheveux de lin de la ballade de Robert Burns, mais le modèle paraît banal à côté de l’imitation[1]. On peut écrire toute une thèse sur Leconte de Lisle, disciple de Vigny[2] ; arrivé à la fin, le lecteur n’est pas encore convaincu : dans tous ces rapprochements, il n’y en a qu’un qui dénote vraiment un emprunt, mais c’est une citation : « Malheur, a dit Alfred de Vigny, à qui ne sait pas écrire les choses communes qui font vivre[3] ». Citer du Chatterton n’est pas imiter. La vérité, c’est qu’il y a entre les deux poètes des rencontres de pensée, des sympathies intellectuelles très vives. Un jour, Leconte de Lisle lit à L. Barracand un passage où Vigny célèbre la beauté de la poésie, et tout à coup l’auditeur est surpris d’entendre la voix qui se mouille, de voir les lèvres qui tremblent d’émotion : « Vous comprenez, mon.ami, — dit-il en s’interrompant — je n’ai jamais eu, moi, qu’une passion, un culte au monde, celui de la poésie ainsi comprise. Cela m’a toujours tristement isolé. Aussi, quand je rencontre par hasard un écho de mes propres sentiments, c’est un grand bonheur pour moi[4] ».

Il y a encore un trait commun entre eux : Vigny rêvait d’être un Raphaël noir ; Leconte de Lisle a réalisé ce rêve[5]. Tout rapprochement entre lui et les autres poètes, fussent-ils très grands, tourne à son avantage. On a pu comparer La Vigne de Naboth à ce poème en prose qui parut la même année, Salammbô[6] ; ce n’est pas diminuer Flaubert que de trouver plus de vie, plus de pittoresque, chez Leconte de Lisle ; n’aurait-il composé que cette pièce biblique, l’auteur des Poèmes barbares serait un maître hors concours : plus encore que l’histoire de Michelet, sa poésie est une résurrection.

Son vers est une perfection : elle a été reconnue par un poète technicien qui pourtant n’avait pas beaucoup de sympathie pour son talent ; d’après Clair-Tisseur, Leconte de Lisle est l’homme qui a fait les plus beaux vers de notre temps[7]. Mais à quelle école se

  1. Vianey, Les Sources, p. 217-218 ; Angellier, Robert Burns, Ire partie, p. 520-522 ; Antiques, p. 300.
  2. P. Flottes, L’influence d’Alfred de Vigny sur Leconte de Lisle.
  3. P. Flottes, p. 35, note, 39.
  4. Revue Bleue, Ier mars 1914, p. 208.
  5. Journal d’un Poète, p. 96 ; cf. J. Lemaître, Contemporains, II, 18.
  6. Vianey, Les Sources, p. 287-288 ; Poèmes Barbares, p. 22.
  7. Modestes Observations, p. 256.