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XVIII
HISTOIRE DU PARNASSE

plan, et maintenant il s’adjuge une vingtaine de pages d’affilée[1] ; il se cite, il déclame La dernière Âme, Le Lion, Penthésilée, La dernière Abeille, La Femme adultère. En revanche, il tâche d’escamoter Leconte de Lisle ; craignant que quelque auditeur ne se rappelle que le Parnasse c’est Leconte de Lisle, et que les Parnassiens sont ses élèves, il magnifie de préférence Victor Hugo : « toute poésie vient de lui, se meut en lui, retourne à lui[2] ». D’après Mendès, les « Parnassiens » devraient bien plutôt s’appeler des néo-romantiques[3]. Mais tout de même, se dit le lecteur soupçonneux, ces néo-romantiques ne faisaient-ils pas partie d’une école, et d’une autre école que celle de V. Hugo ? Mendès nie l’école : « aucun mot d’ordre, aucun chef, toutes les personnalités absolument libres[4] ». Comme il est rare qu’on écrive bien quand on ment, Mendès insiste lourdement, gauchement : « tous n’avaient à rendre compte à aucun de leurs sujets, et n’avaient à soumettre leur inspiration à aucune loi acceptée[5] ». Mais enfin, il y avait au moins un groupement autour de Leconte de Lisle ? Que non pas ! Le vrai centre, c’est moi, dit Mendès, car il fonde en 1861 la Revue fantaisiste ; Glatigny va lui porter un exemplaire de ses Vignes folles ; Monsieur le Directeur lit le livre, et, le lendemain, dit à l’auteur : « Vous êtes un poète. — Glatigny répliqua : « Vous en êtes un autre ! — Ces injures échangées les deux jeunes gens se serrèrent la main ; et ce fut le commencement du groupe[6] ».

C’est pourtant cette entreprise contre la vérité que Mendès définit « un livre de ton fantasque, où le moindre détail, pourtant, est rigoureusement exact ». Ce bel éloge figure dans son Rapport sur le mouvement poétique français de 1867 à 1900[7]. Ce rapport officiel, dédié respectueusement « à Monsieur le Ministre », est suivi d’un Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du xixe siècle. Craignant de ne pas avoir assez célébré sa gloire, et celle de sa famille, dans son Rapport, il s’octroie dans son Dictionnaire, dix-huit colonnes et demie, quand il en accorde vingtet-une à Hugo, huit à Banville, huit à Baudelaire, sept à Leconte

  1. La Légende, p. 264-283.
  2. Légende, p. 24.
  3. Légende, p. 11-13.
  4. Ibid., p. 19.
  5. Légende, p. 19-20.
  6. Légende, p. 57.
  7. Rapport, p. 113.