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HISTOIRE DU PARNASSE

à son tour, il rit[1]. C’est la détente. Au fond, il ne voudrait pas choquer Villiers de l’Isle-Adam, qu’il aime malgré ses allures de champion de la religion, ni les Parnassiens catholiques[2]. Lui qui a horreur des sectaires obtus, il se contente d’être impie pour son propre compte.

Telle est sa maîtrise, avec ses limites. Tel est Leconte de Lisle au milieu de ce salon qui est sa salle de cours. Ses élèves ne sont pas terrorisés devant lui comme on l’a dit, mais fort intimidés[3]. On se sent parfois gêné, dit Ricard, devant « le monocle sévère du maître olympien, et la menace constante de sa terrible ironie[4] ». Voilà un professeur qui s’entend à faire régner la discipline. On le respecte, on le craint ; on dit de lui, très respectueusement : Monsieur de Lisle[5]. Mais ses meilleurs élèves regrettent de ne pas pouvoir lui témoigner un peu de leur affection ; après sa mort seulement, Coppée osera avouer qu’il l’aimait : « je ne partageais aucune des convictions philosophiques de Leconte de Lisle ; mais l’artiste en lui m’éblouissait à ce point que je puis dire qu’il est un de ceux que j’ai le plus aimés et admirés. J’ai eu le bonheur de lui donner la preuve de mes sentiments ; mais jusqu’à la fin il m’intimida, et la crainte de son dédain ou de ses ironies — bien excusables chez un homme pour qui le sort avait été sévère — arrêtait, de ma part, les cordiales expressions. En présence de ce poète, pour qui l’art fut un sacerdoce, j’étais toujours ému, en me rappelant tant de chefs-d’œuvre, en songeant à cette vie exemplaire, et mon cœur était pénétré d’affection et de respect. Je me reproche, à cette heure, de ne pas l’avoir dit assez souvent, et avec assez de chaleur au Maître trop imposant ; et je me demande, hélas ! avec tristesse : — L’a-t-il bien su[6] ? » Délicat scrupule, sans réciproque. Leconte de Lisle n’avait pas besoin de beaucoup d’amis ; il préférait les vassaux soumis, ou les rebelles venus à résipiscence ; il conservait précieusement une lettre de Théodore de Banville qui était presque une capitulation : « vous disposez non seulement de la couleur, mais de la lumière. Vos personnages se meuvent dans une atmosphère

  1. H. Houssaye à l’Académie, 12 décembre 1895 ; Barrès à l’Académie, Journal Officiel du 19 janvier 1907, p. 432.
  2. Calmettes, p. 203 ; E. Prévost, La, Vie catholique, 15 décembre 1927, p. 5.
  3. Léo Larguier, Les Nouvelles littéraires, 26 novembre 1927.
  4. Ricard, La Revue, Ier février 1902, p. 306.
  5. Jules Lemaître, billet du matin, dans Le Temps du 25 avril 1889.
  6. Mon Franc-Parler, p. 67-68.