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LE PARNASSE

concentré que jamais ; ceux qui ne sont pas au courant disent que c’est un Impassible ; ses camarades savent qu’il souffre, et qu’il garde sa souffrance pour lui : « il semblait tout enveloppé de rêve, dit Ricard, et embarrassé, quand on ne le contraignait pas à en sortir, comme un cygne obligé à marcher[1] ». De ce songe où il s’enferme sortent de beaux vers tristes. L’amour nostalgique de son paradis perdu est son meilleur inspirateur : il se rappelle la lumière, les parfums de l’île, et sa jeunesse ; en l’Odeur Sacrée, il se plonge dans le souvenir


Des espoirs embaumés que de loin il aspire,
Croyant ouïr la voix de son enfance, et voir
Ses clairs matins passer dans la douceur des soirs[2].


Les amis de Mme de La Fayette l’appelaient : le Brouillard ; c’est juste le sobriquet que les Parnassiens auraient dû donner à Dierx, mais ils respectaient celui qui parlait avec foi de la divine mission des poètes, « les premiers des hommes », celui qui mettait au-dessus de tout l’art, et, au-dessus de tous les arts, la poésie. Si quelqu’un semblait vouloir attaquer sa religion, alors, dit Ricard, « le Cygne, tout coup animé, allongeait le cou, et, les plumes hérissées, battait des ailes[3] ». C’est peut-être pour cet amour combatif de la Beauté, qu’il est, en 1898, élu Prince des Poètes par quinze voix, quand Heredia n’en obtient que dix[4].

Cette élection ne fut pas une joie pour cet esprit grave, qui avait le sens du ridicule. Il sombrait peu à peu dans la cécité ; il cessa d’abord de lire, puis de peindre, et enfin de modeler. À un banquet à la mémoire de Mallarmé, il dit des vers, le 9 juin 1912 ; deux jours après on le trouvait sur son lit, mort d’une embolie. Laurent Tailhade s’incline devant ce poète aimable, modeste, et charmant : « ce fut, dit-il, sinon un grand lyrique, du moins un artiste consciencieux, un Alfred de Vigny moins haut, mais aussi moins revêche, qui fleurit, sans trop d’étiolement, à l’ombre de Leconte de Lisle[5] ». C’est, au contraire, à l’irradiation du Maître que Dierx se transforme. C’est grâce à Leconte de Lisle qu’il renonce peu à peu à son romantisme, et pourtant, au début, c’était le plus romantique

  1. Le Petit temps du 2 juillet 1899.
  2. Œuvres, 1, 210.
  3. Le Petit Temps du 2 juillet 1899.
  4. Noulet, p. 25-26 ; A. Brisson, Le Temps du 2 novembre 1898. — E. Raynaud, La mêlée symboliste, III, 6, 13.
  5. Les Commérages de Tybatt, p. 189.