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LE PARNASSE

aisément. Son envoi au Parnasse de 1866 le classe immédiatement après Leconte de Lisle : qui l’a lu, ne fût-ce qu’une fois, se rappelle la beauté, le charme rêveur, la grandeur, qui remplissent ces pièces : Lazare, Les Filaos, La Nuit de Juin, Dolorosa Mater, Soir d’Octobre, Journée d’Hiver. Seuls es Yeux de Nyssia sont décevants ; il y a dans ces derniers vers trop de gongorisme, de cultisme, etc. Les autres poèmes donnent l’impression de la grande poésie, mais ce n’est pas encore la perfection, car Dierx a été obligé de les corriger soigneusement avant de les placer dans ses œuvres complètes. Ainsi, dans Dolorosa Mater on trouve en 1866 cette stance qui, à nous profanes, semble excellente :


Refoulant dans son cœur la pensée ulcérée,
Un suprême désir de néant et de paix
Profond comme la nuit, lent comme la marée,
En lui monte et l’étreint de ses réseaux épais[1]


Avant de placer la pièce dans ses œuvres, il la relit ; il découvre des fautes qui lui avaient échappé, et à nous aussi, notamment une assonance de rimes en è et en ée. C’était la chrysalide, et voici le papillon :


Il refoule bien loin la pensée ulcérée
Cependant qu’un désir de suprême repos,
Profond comme le soir, lent comme la marée,
L’assemble et l’enveloppe et l’étreint jusqu’aux os[2].


On ne peut relever utilement toutes ces variantes que dans une édition critique, car le plus souvent le contexte seul nous apprend l’utilité et la valeur d’une correction.

Dierx est, de tous les Parnassiens, celui qui, avec Heredia, a le plus scrupuleusement ciselé à nouveau le texte de son envoi avant de le publier dans sa forme définitive. Son Lazare, en particulier, devrait être étudié, plume en main, par tout débutant curieux d’apprendre comment on s’élève patiemment jusqu’à la beauté. Il ne pousse pas le scrupule jusqu’à la manie ; il ne déforme pas sa pensée première à force de repeints. Il sait s’arrêter au bien sans se perdre dans le mieux ; ainsi le Soir d’Octobre de l’édition définitive ne présente que trois variantes insignifiantes avec le texte de 1866[3].

  1. Parnasse, p. 88.
  2. Œuvres, I, 161.
  3. Parnasse, p. 90 ; Œuvres, I, 169.