Page:Souriau - Histoire du Parnasse, 1929.djvu/353

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
289
LE PARNASSE

chable devant laquelle il se sent envahi par le respect dû à ce qui est auguste[1]. La critique, en général, est presque aussi recueillie[2]. Même le sévère René Lalou renonce à sa dureté coutumière pour admirer à plein cœur[3].

Comment un si grand poète, indiscuté, indiscutable, est-il si peu connu ? Il en est bien un peu responsable : de 1879, date de son dernier recueil, Les Amants, jusqu’à sa mort en 1912, il garde un silence absolu, à une époque de concurrence littéraire où il faut produire incessamment, ou tomber dans l’oubli ; la prescription est à peine interrompue par la publication du recueil de ses œuvres complètes en 1894. Pendant quinze ans, il ne donne pas signe de vie ; pendant trente-trois ans il ne publie rien de nouveau. Après sa mort on trouve dans ses papiers juste de quoi faire une plaquette de trente pages. D’une aussi étrange destinée on cherche la raison, un peu à tâtons. À force de se replier sur elle-même, son intelligence s’était-elle peu à peu résorbée ? Ce pessimiste, qui ne rencontrait plus devant lui que le néant, avait-il fini par trouver du creux même dans l’art, et par prononcer le terrible « à quoi bon ? » Le fait certain c’est qu’il renonce au public ; en revanche, le public se désintéresse de lui, d’autant plus facilement qu’il faut faire un effort pour comprendre Dierx, pour penser et rêver avec lui[4]. Mais, dans cette solitude à la Vigny sa figure semble grandir, et Verlaine veut chanter sa grandeur solitaire dans un sonnet, Dierx le Volt :


Dierx ! dont le nom fait pour la gloire sonne clair
Comme une bonne épée en la main d’un héros,
Qu’avons-nous de commun, nous, rois, avec ce gros
De rustres s’en allant en guerre de quel air !
Nous, rois de l’infini, du Ciel et de l’Enfer
Car le poète, enfin vainqueur et hors des foules,
Comme Poséidon met du geste un frein aux houles
Et règne, tel que Zeus, d’un pli de ses sourcils.
Hélas ! C’est faux de moi, tige au plus qui fleuronne,
Mais, ô vous, calme emmi de splendides soucis,
Portez, Olympien, le nimbe et la couronne[5] !



  1. Rapport, p. 121 sqq.
  2. Retinger, Histoire de la Littérature française, p. 23 ; Valabrègue, Revue Bleue, 7 avril 1894, p. 442 ; Derieux, Mercure de France, 16 janvier 1912, p. 242.
  3. Histoire de la Littérature, p. 36-38.
  4. Mendès, La Légende du Parnasse, p. 253. Pourtant Saint-Georges de Bouhélier l’a rappelé à notre mémoire dans un article de l’Écho de Paris du 12 décembre 1928.
  5. Œuvres, III, 208.