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HISTOIRE DU PARNASSE

À pareille école, Heredia fait des progrès ; ses préférences vont à l’Anthologie, que, modeste philologue, il lit dans une traduction ; l’Anthologie devient son livre de chevet ; il y joint la Mythologie Grecque de Decharme[1]. Il puise aussi dans les textes, ne dissimulant jamais ses emprunts, révélant les beautés qu’il doit à l’original : ainsi il indique à ses amis que le sonnet d’Antoine et de Cléopâtre est emprunté aux Vies Parallèles de Plutarque : c’est au chapitre lxxiv qu’apparaît « l’ardent Imperator » ; il est vaincu sur mer, mais, sur terre, il bat la cavalerie d’Auguste ; « enivré par la victoire, il revint au Palais, et, tout armé, posséda Cléopâtre ». En bon chartiste, Heredia aime les textes ; en poète, il prend son bien partout où il le trouve, même dans les journaux. C’est l’histoire du sonnet Sur l’Othrys. Il a été étudié par un sourcier diligent qui y a découvert de l’Alfred de Vigny, du Virgile, du Leconte de Lisle, et également toutes sortes d’erreurs géographiques, car, de par Strabon, il serait impossible, sur la pente nord de l’Othrys, d’apercevoir à la fois l’Olympe, le Tymphreste, etc.[2] Tel n’est pas l’avis de M. Gaston Deschamps qui garantit la surprenante exactitude géographique du sonnet[3] ; il n’en est pas surpris, au fond, mais, en galant homme, il se garde de jeter dans les jambes de Heredia le numéro des Débats du 10 octobre 1888 où, jeune Athénien, il avait raconté ce qu’il avait vu du haut des -longues ondulations des monts Othrys, dans un article précis comme une table d’orientation : « la plaine thessalienne s’étale comme le lit d’un lac desséché, noyée dans une vapeur rousse, sous la pâleur du ciel incandescent où l’Olympe estompe vaguement ses formes… On aperçoit l’Eubée, la mer d’un bleu tendre, le Callidrome très sombre, l’Œta évoquant les clameurs d’Héraklès dans un vaste splendoiment. Au delà, le Parnasse rayonne, inondé d’une clarté diffuse qui supprime les plans, atténue les saillies, laisse voir seulement le contour parfait nimbé de lumière. Puis la ligne des sommets se continue… jusqu’au Thymphreste, grande cime claire, piquée d’un étincellement de paillettes neigeuses ». Quand l’auteur de cette jolie lettre revint en France, on s’empressa de lui dire, aux Débats : — Vous avez eu un vrai succès : Heredia a fait avec votre prose un sonnet[4].

  1. Zilliacus, Revue, 1910, 262 sqq. ; Ibrovac, p. 251, note ; Vianey, Revue des Cours, 1911, p. 722 ; R. Doumic, R. D. D.-M., 15 octobre 1905.
  2. Thauziès, Revue des Langues romanes, 1911, LIV, p. 43-45.
  3. Le Temps, 26 mai 1895.
  4. Débats du 16 octobre 1925.