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HISTOIRE DU PARNASSE

criptions votives nous vaut Le Vœu, L’Exilée ; de six mots latins exhumés et restaurés par un archéologue, Geminus servus et pro suis conservis, sort cet hymne Aux Montagnes divines qui est beau entre tant de beautés[1]. La poésie ainsi comprise est, elle aussi, une résurrection.

En bon humaniste, Heredia a retrouvé la splendeur grecque et la force latine : on comprend comment il a su rendre la beauté de la vieille Espagne, non plus par divination, mais par intuition filiale. Le sang espagnol qui met dans ses veines quelques gouttes de férocité et un courant de fierté, est le même que celui qui faisait battre le cœur de Diego Laynez d’une fièvre de honte, le cœur du Cid d’une poussée d’héroïsme. Le poète n’a pas à faire d’effort d’adaptation pour avoir l’intelligence de ces âmes hautaines. Don José Maria de Heredia est de leur maison. Il connaît les archives familiales ; il y apprend ce que tout bon descendant doit connaître. S’il a pu condenser les âmes des Conquistadors en une âme unique dans le sonnet des Conquérants et dans le poème des Conquérants de l’or, c’est qu’il a traduit, avec un art patient et dévot, la Véridique Histoire de la Conquête de la Nouvelle Espagne qu’écrivit jadis le capitaine Bernai Diaz del Castillo. Il a fait leur retrato en pied dans la préface de sa traduction, et leur miniature dans son sonnet[2]. Proportions à part, c’est toujours le même portrait :


Comme un vol de gerfauts hors du charnier natal, Fatigués de porter leurs misères hautaines, De Palos, de Moguer, routiers et capitaines Partaient, ivres d’un rêve héroïque et brutal.

Ils allaient conquérir le fabuleux métal Que Cipango mûrit dans ses mines lointaines…


Si nous voulons faire autre chose qu’admirer à la surface, il nous faut refaire en partie l’effort du poète, apprendre que Colomb s’embarqua au port de Palos, tenté par les choses merveilleuses que Marco Polo racontait sur les richesses du Japon et de Sypangu[3].

Quant à la forme, son vers procède tout d’abord d’André Chénier. En louant la versification de l’auteur des Bucoliques, Heredia définit sa propre facture : « jamais poète n’a si magistralement

  1. Les Trophées, p. 83, 87, 86 ; cf. G. Deschamps, Le Temps du 26 mai 1895.
  2. Préface de la Véridique Histoire (Lemerre, 1878), tome Ier, p. v-xlix.
  3. Cf. Le Livre de Marco Polo, publié par Pauthier, II, 537, sqq.