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HISTOIRE DU PARNASSE

fleurie, orfèvrerie) n’eût point été malséante ; mais qui ne voit que la sifflante adoucie qui se joint à la voyelle affilée {frise, irise) fait rêver de ciselure, de pointe glissant sur un métal[1] ? » Cette ingéniosité deviendrait dangereuse si on en abusait, car ce serait alors restreindre chez Heredia l’art des vers à de petites curiosités de détail, faire de l’artiste un sculpteur d’ivoires chinois, quand on remarque par ailleurs chez lui un effort pour alléger les règles trop pesantes, pour garder à sa manière une aisance souple. Nous avons vu qu’à la suite d’une observation de Gautier sur ses sonnets libertins, il avait pris envers lui-même l’engagement de ne plus faire que des sonnets parfaitement réguliers : il n’en fit rien, et il fit bien. Ouvrons le Petit Traité de Poésie de Banville : il nous enseigne qu’il n’y a que deux sortes de sonnets réguliers, celui qui commence par une rime masculine,


a e e a
a e e a
ée ée i
ue i ue[2]


et celui qui commence par une rime féminine :


e a a e
e a a e
i i ée
u ée u.


Sur les cent vingt-huit sonnets des Trophées, il n’y en a que quatre-vingt trois qui soient rigoureusement conformes à ce jeu de rimes, soit moins des deux tiers ; les quarante-cinq autres, soit un peu plus du tiers, sont irréguliers, non pas pour les quatrains, mais pour les tercets. Dans Artémis, qui commence par une rime masculine, les tercets sont ainsi rimés :


ée ée i
ue ue i


Dans Le Vase, qui débute par une rime féminine, voici les rimes des deux tercets :


i i ée
u u ée.


Au-dessus des règles de métier, Heredia place, justement, cette loi que la rime doit toujours être une surprise, et non une simple

  1. Revue Bleue, 19 décembre 1885, p. 790.
  2. Je reprends la notation schématique des rimes dont je me suis servi dans mon Évolution du Vers français au xviie siècle.