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LE PARNASSE

rentrant à l’Officiel, il commence à faire sur la physionomie de Paris la suite de croquis qui formeront les Tableaux de siège, ce chef-d’œuvre de la littérature obsidionale, où le beau n’est plus que le serviteur du courage, où l’émotion réclame sa place, au premier rang. Le grand artiste se croit obligé de s’en excuser : « en ce tempsci, tout le monde se découvre : j’ai fait comme tout le monde[1] ».

Les Parnassiens s’agitent, pleins de bonne volonté, mais parfois avec la maladresse des gens qui n’ont pas l’habitude : Théodore de Banville, en son empressement, dépasse le but : dans les Idylles Prussiennes, il va tout de suite jusqu’au « bourrage de crâne », et c’est une souffrance de le lire, même maintenant[2]. Les autres ont du zèle : Theuriet écrit Les Paysans de l’Argonne ; Croisette déclame une Odelette Guerrière de Catulle Mendès ; Coppée publie sa Lettre d’un mobile Breton[3]. Dierx, au premier rang, à la hauteur de Théophile Gautier, retrouve le souffle lyrique des Tyrtées ; dans Les Paroles du Vaincu, on trouve deux strophes qui finissent par nous donner le grand frisson de l’enthousiasme. C’est d’abord les cuirassiers de Reichshoffen :


Ils tombèrent enfin, ces braves,
Par blocs massifs, aux trous béants !
Le soir vint grandir ces géants,
Ces vaincus effrayants et graves !
L’un surtout, son buste d’acier
Droit sur l’arçon, semblait attendre !


Et puis enfin, ce vers extraordinaire, résonnant d’acier et d’airain, comme dit Verlaine : on peut croire, la nuit surtout,


Que la mort n’a point voulu prendre
Son âme à ce grand cuirassier.


La strophe suivante s’élève plus haut encore, rattachant 1870 à 1914 :


Ceux de l’Argonne et de Valmy
Sont vêtus de pourpre éclatante.
Ils souriaient fiers, dans l’attente,
Nous criant : « Sus à l’ennemi ! »
Mais toujours passaient les Barbares !
Et les vieux sonneurs de fanfares
Criaient en vain : « Debout, les morts[4] ! »


  1. Maurice Dreyfous, Ce que je tiens à dire, p. 225-227, 253-255 ; cf. Primoli, R. D. D.-M., 15 novembre 1925, p. 358 ; Coppée, Souvenirs d’un Parisien, p. 170.
  2. Les Idylles Prussiennes, p. 424, 425, 358-359, etc.
  3. Theuriet, Souvenirs, p. 300-301.
  4. Dierx, Œuvres, II, 6. — Cf. J. Monval, Figaro du 3 août 1929.