Page:Souriau - Histoire du Parnasse, 1929.djvu/389

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
325
LE PARNASSE

le 6 mai suivant, France, pour quitter Paris, frète un voiturier, et s’aperçoit en cours de route que c’est un prussien de la Landwehr : « ce brave homme m’a conduit à Versailles, écrit-il à sa mère. Tout le long du chemin nous avons vu des campements (français). J’ai vu des artilleurs manœuvrer. Ce sont de bons soldats quand on les compare à ceux de la Commune, et de détestables soldats quand on songe aux Prussiens dont j’ai vu les manœuvres géométriques se dérouler dans la plaine d’Aubervilliers[1] ». Tel est le cursus honorum militaire d’Anatole France : il n’est pas militariste, il n’est pas encore communiste : il n’est pas de cœur avec les communards, qu’il appelle des « fripouillards » ; même, dans une lettre à Étienne Charavay, il salue la chute de la Commune avec quelque férocité : « enfin le gouvernement du Crime et de la Démence pourrit à l’heure qu’il est dans les champs d’exécution[2] ».

Leconte de Lisle fait une autre figure pendant le Siège. Et pourtant, dans le cataclysme général il a eu son effondrement particulier. Brusquement le bruit se répand que l’ennemi acharné de l’Empire touchait une pension sur la cassette privée de l’Empereur ! Le fait était vrai. La sœur de lait de Napoléon III, Mme Cornu, avait attiré, en effet, la bienveillance impériale sur le poète pauvre qui se trouvait tout à coup obligé de prendre à sa charge sa mère et ses deux sœurs, revenues de l’île de la Réunion, ruinées[3]. L’Empereur faisait d’abord offrir une pension à Leconte de Lisle, à condition qu’il dédierait ses traductions au Prince Impérial. Dans un sursaut de fierté, le poète osait écrire : « Il serait sacrilège de dédier ces chefs-d’œuvres antiques à un enfant trop jeune pour les comprendre ». — « C’est M. Leconte de Lisle qui a raison, répond l’Empereur, et je veux lui assurer une pension sur ma cassette particulière[4] ». Cette fois le poète accepte, pour sa mère en somme[5].

Puis, pendant le siège, le Parnasse apprend, par le Recueil des pièces trouvées aux Tuileries après le 4 septembre, que, depuis juillet 1864, le plus républicain des Parnassiens reçoit de Napoléon III une pension de trois cents francs par mois ! « À pareille défaillance il n’est pas d’excuse », déclare froidement l’ami qui se

  1. Girard, La Jeunesse, p. 203-204.
  2. G. Girard, La Jeunesse, p. 200-208.
  3. Dornis, Essai, p. 320.
  4. Dornis, R. D. D.-M., 15 mai 1895, p. 329 ; cf. Comte Primoli, ibid., Ier novembre 1925, p. 48.
  5. Bourget, Quelques Témoignages, p. 151.