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HISTOIRE DU PARNASSE

assez bien les idées de Heredia : « représentez-vous, dans un laboratoire, un creuset où bout et se résout une matière précieuse : l’artiste est là, penché sur le fourneau, alimentant la flamme avec l’incommensurable amas de toutes les bibliothèques ; puis il saisit, une fois refroidi, le précieux métal, et, en ciseleur habile, avec une émotion, un tremblement sacrés, il le manie, le fouille, le travaille, le réduit encore de plus en plus… » L’auditeur de Pimentel résume ainsi sa doctrine : négliger l’âme humaine, l’émotion ; ne plus traduire une passion en images justes, mais choisir un sujet rare, la description d’une buire, d’un ostensoir, et s’y appliquer minutieusement[1].

Des amis communs ont soin de prévenir Heredia, qui se reconnaît dans ce portrait-charge, et se contente de dire à l’humouriste : « Ah ça ! Barracand, il paraît que vous m’attrapez…[2] ». L’autre proteste de son innocence. Heredia garde le beau rôle, car il ne se fâche pas ; l’homme du monde ne venge pas les injures de l’homme de lettres. Il a décidément toutes les qualités seyantes au maître.

En versification il est conservateur ; il ne lui paraît pas qu’il y ait, après Leconte de Lisle, d’innovations utiles. Il préconise le vers tel que l’ont forgé les romantiques et les Parnassiens ; il le défend contre le saccage des symbolistes. De là son apologie de la rime : « la rime n’est pas une gêne pour le poète : c’est un tremplin. La difficulté même excite le génie de l’artiste… Et pour faire une comparaison qui me paraît très juste et qui m’est souvent venue à l’esprit en regardant monter la mer, une rime heureuse arrivant au bout d’un beau vers, c’est quelque chose comme le panache ou la frange d’écume qui parachève avec un fracas de tonnerre ou un murmure délicieux, le déferlement d’une belle lame[3] ».

Il admettrait pourtant quelques modifications très légères, par exemple à la définition de l’hémistiche. Jusque dans la septième édition de son Dictionnaire, l’Académie disait que, dans le vers héroïque, la césure, ou repos du vers, doit être placée après la sixième syllabe, à la fin du premier hémistiche ; Heredia propose à ses confrères comme définition de l’alexandrin : « un vers de douze syllabes avec un accent sur la sixième syllabe[4] ».

  1. Revue Bleue, 13 février 1886, p. 203, 204, 205.
  2. Barracand, Revue de Paris, ier mars 1914, p. 190-191.
  3. Huret, Enquête, p. 305-306.
  4. Dictionnaire de l’Académie, Alexandrin, césure, hémistiche ; Poizat, Classicisme et Catholicisme, p. 145.