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Page:Souvenirs d'enfance de Sophie Kovalewsky.djvu/130

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départ de l’institutrice.

combien je l’aime. Et personne, personne, ne m’aime maintenant », me dis-je avec un repentir tardif.

Et mes sanglots deviennent de plus en plus forts.

« C’est pour Marguerite que tu t’affliges ainsi ? » demande mon frère Fédia qui passe en courant près de moi.

Et je sens dans sa voix un étonnement ironique.

« Laisse-la, Fédia. Cet attachement lui fait honneur », dit sentencieusement une voix derrière moi celle d’une vieille tante que nous n’aimions pas, nous autres enfants, parce que nous la supposions fausse, je ne sais trop pourquoi.

L’ironie de mon frère, et l’éloge doucereux de ma tante, aussi désagréables l’un que l’autre, me font reprendre mon équilibre moral. Jamais je n’ai pu supporter les consolations des indifférents lorsque mon cœur était frappé. Aussi repoussai-je avec colère la main de ma tante, que celle-ci pose sur mon épaule dans une intention caressante, et je murmure fâchée :

« Je ne m’afflige de rien, et n’ai d’attachement pour personne. »

Après quoi, je me sauve dans ma chambre.

À la vue de cette pièce vide, je suis sur le point de retomber dans une nouvelle crise de désespoir ; mais l’idée de pouvoir rester avec ma sœur tant que je voudrai, me console un peu, et aussitôt je cours chez elle pour voir ce qu’elle fait.

Aniouta est dans la grande salle ; elle y marche de long en large. Elle se livre toujours à cet exercice