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Page:Souvenirs d'enfance de Sophie Kovalewsky.djvu/148

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départ de l’institutrice.

à une longue expédition. Notre cuisinier, célèbre dans le voisinage pour son talent de pâtissier, n’apportait jamais plus de soin à la confection de ses petits pâtés que lorsque ses maîtres se mettaient en voyage.

Et quelle admirable route ! Les soixante premières verstes traversaient une forêt de pins, forêt touffue, dont chaque arbre représentait un mal, et entrecoupée de lacs grands et petits. En hiver, ces lacs semblaient de grandes prairies de neige, sur lesquelles se reflétait l’ombre noire des sapins qui les entouraient.

Voyager de jour était charmant, mais voyager de nuit plus charmant encore. Assoupie un instant, on était éveillée par quelque secousse, et on ne reprenait pas tout de suite connaissance ; une petite lampe de voyage éclairait faiblement le plafond de la voiture, jetant une lueur incertaine sur deux étranges figures, enveloppées de capuchons blancs et de fourrures, dans lesquelles on reconnaissait difficilement une mère et une sœur. Sur les vitres, couvertes de givre, de la voiture, se dessinaient de bizarres arabesques d’argent : les grelots tintaient sans interruption. Tout cela était si étrange, si nouveau, qu’on ne s’y reconnaissait pas tout d’abord ; une sourde douleur dans les membres causée par une position incommode se sentait seule distinctement. Tout à coup, comme un trait de lumière, la conscience revient : où sommes-nous ? où allons-nous ?… Et à la pensée de ces bonnes et belles choses en perspective, le cœur