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Page:Souvenirs d'enfance de Sophie Kovalewsky.djvu/155

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sophie kovalewsky.

attention : en pareil cas, il s’exprimait d’une façon si pittoresque, si vivante, que je n’ai jamais rencontré son égal.

Parfois c’était le sujet de quelque futur roman qu’il nous racontait, ou bien encore des scènes et des épisodes de sa propre vie. Je me rappelle vivement, par exemple, sa description des minutes passées debout, les yeux bandés, devant un peloton de soldats, condamné à être fusillé, n’attendant plus que le commandement fatal de « Feu ! » lorsque tout à coup le tambour retentit, annonçant la grâce.

Je me rappelle aussi un autre récit : nous savions, ma sœur et moi, que Dostoiévsky souffrait d’attaques d’épilepsie, mais cette maladie avait à nos yeux un caractère d’horreur magique qui nous eût empêchées d’y faire la plus lointaine allusion. À notre grande surprise, il nous en parla le premier, et nous raconta dans quelles circonstances son premier accès avait eu lieu. J’ai entendu, depuis, une version tout autre et très différente : Dostoiévsky aurait eu cet accès pour avoir passé par les verges, aux travaux forcés. Les deux versions n’ont aucune ressemblance. Laquelle est la vraie ? Je n’en sais rien, plusieurs médecins m’ayant assuré que presque tous les épileptiques offrent ce trait caractéristique d’oublier complètement l’origine de leur maladie, quoique leur imagination reste toujours préoccupée de ce sujet.

Quoi qu’il en soit, voici ce qu’il racontait : sa maladie n’avait pas, selon lui, commencé aux travaux forcés, mais en exil. Il souffrait extrêmement