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Page:Souvenirs d'enfance de Sophie Kovalewsky.djvu/162

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nos relations avec dostoiévsky.

sa timidité s’accentuait. Cette contrariété devait se déverser sur quelqu’un.

Ma mère se hâta de le présenter aux autres invités : mais, au lieu de saluer, il murmura quelque chose d’inarticulé, qui ressemblait à un grognement, et tourna le dos. Qui pis est, il prétendit aussitôt accaparer complètement Aniouta, l’emmena dans un coin du salon avec l’intention évidente de ne plus la laisser partir. C’était contraire à toutes les convenances, et ses façons ne l’étaient pas moins : il prenait la main de ma sœur, lui parlait en se penchant jusqu’à son oreille. Aniouta était gênée, ma mère hors d’elle. D’abord elle tenta de faire « délicatement » comprendre à Dostoiévsky combien sa tenue laissait à désirer. Elle appela ma sœur sous un prétexte quelconque, en passant par hasard devant elle, et Aniouta se levait déjà, mais Dostoiévsky la retint avec le plus grand sang-froid :

« Attendez, Anna Vassiliévna, je ne vous ai pas tout dit. »

Ici ma mère perdit patience.

« Excusez-la, Théodore Mikhaïlovitch, mais, comme maîtresse de maison, il faut qu’elle s’occupe de tous les invités », dit-elle avec raideur, en emmenant ma sœur.

Dostoiévsky, fâché, s’enfonça dans son coin sans ouvrir la bouche, jetant sur l’assistance des regards furieux.

Au nombre des invités s’en trouvait un qui, dès le premier moment, lui fut particulièrement insup-