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Page:Souvenirs d'enfance de Sophie Kovalewsky.djvu/182

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nos relations avec dostoiévsky.

Le jour fixé pour notre départ était proche. Dostoiévsky vint nous voir encore une fois pour nous dire adieu. Il ne resta pas longtemps, mais son attitude avec Aniouta fut simple et amicale, et ils se promirent de s’écrire. Avec moi, l’adieu fut très tendre : il m’embrassa même en me quittant, ne se doutant certes guère de mes sentiments pour lui, et des souffrances dont il était cause.

Six mois plus tard, environ, ma sœur reçut une lettre de Dostoiévsky, lui annonçant son mariage : il avait rencontré une admirable jeune fille, il l’aimait, et elle consentait à l’épouser. « Si pareille chose m’avait été prédite il y a six mois, ajoutait naïvement Théodore Mikhaïlovitch à la fin de sa lettre, je vous jure que je ne l’aurais jamais crue possible. »

Ma blessure guérit vite également. Durant les derniers jours passés à Pétersbourg, j’éprouvais encore un poids inaccoutumé au cœur et me sentais plus triste et moins animée que d’habitude, mais le voyage effaça de mon âme les dernières traces de l’orage qui l’avait bouleversée.

Nous partîmes en avril. À Pétersbourg, l’hiver régnait encore, il faisait froid et laid. Mais, à Witebsk, le vrai printemps vint au-devant de nous ; il avait, en deux ou trois jours, pris possession de tous ses droits. Tous les ruisseaux, toutes les rivières débordaient, donnant à la campagne qu’ils inondaient l’apparence de la pleine mer. La terre dégelait. La boue était indescriptible.

Sur la grande route, on avançait encore tant bien