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Page:Souvenirs d'enfance de Sophie Kovalewsky.djvu/266

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sport et autres divertissements.

à venir nous y rejoindre, lorsque je reçus la lettre suivante :


« Ma bien chère Anne-Charlotte,

« Je viens de recevoir ton amicale lettre. Tu ne saurais t’imaginer le grand plaisir que j’aurais à me mettre aussitôt en route pour vous rejoindre, ton frère et toi, en Suisse, pour escalader avec vous les pics les plus élevés des Alpes. J’ai l’imagination assez vive pour me représenter combien ce serait amusant, et les joyeuses semaines que nous pourrions passer ensemble. Malheureusement je suis retenue ici par toutes sortes de raisons, plus sottes et plus ennuyeuses les unes que les autres. D’abord et avant tout j’ai promis de rester ici jusqu’au 1er août. et quoiqu’en principe je sois d’avis que l’homme est maître de sa parole, les vieux préjugés sont encore si forts en moi, que je n’ose mettre mes théories en pratique, et au lieu d’être le maître, je suis l’esclave de ma parole. Du reste il y a une foule de circonstances qui me retiennent. Ton frère, qui au fond me connaît et me juge très bien, quoiqu’il ne faille pas le lui dire pour ne pas trop flatter sa vanité, a souvent dit que j’étais très impressionnable, et que les devoirs et les influences du moment dirigeaient seuls ma conduite. À Stockholm, où je passe pour le défenseur de l’émancipation des femmes, je finis par croire que mon devoir le plus strict, et le plus sérieux, est de soigner et de cultiver mon « génie ». Mais ici, je dois humblement l’avouer, on ne me pré-