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Page:Souvenirs d'enfance de Sophie Kovalewsky.djvu/287

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sophie kovalewsky.

heureux, au lieu d’aider à leur bonheur. Dans la seconde, les mêmes personnages vivront les uns pour les autres, en s’entr’aidant, et formeront une petite société idéale où ils trouveront le bonheur. Ne parlez de cela à personne. À dire vrai je ne sais rien de plus que ce que je viens de vous dire sur l’idée de Sophie, car nous en avons parlé hier pour la première fois, et demain elle doit me développer son plan, afin que je juge s’il peut être traité au point de vue dramatique. Vous allez rire de me voir ainsi m’enthousiasmer à l’avance, mais c’est toujours ainsi pour moi ; dès que je vois le commencement d’une chose, j’en vois aussitôt la fin. Je me vois maintenant travaillant en collaboration avec Sophie à une œuvre gigantesque, qui aura du succès au moins dans le monde entier, peut-être même dans un autre monde. Nous sommes comme deux folles ; si nous pouvions réussir, cela nous réconcilierait avec l’univers. Sonia oublierait que la Suède est la terre des philistins par excellence, et ne se plaindrait plus d’y perdre ses plus belles années, et moi j’oublierais — oui, j’oublierais tout ce qui me fait grogner. Vous allez dire que nous sommes de grands enfants, oui, c’est ce que nous sommes, Dieu merci. Il existe heureusement un royaume préférable à tous ceux de la terre, et dont nous avons la clef, le royaume de la fantaisie ; celui qui le veut en devient maître, et tous les événements y prennent la forme que l’on veut leur donner. Mais peut-être le plan de Sophie, destiné à un roman, ne vaudra-t-il rien pour un drame ? Et quant à un