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Page:Souvenirs d'enfance de Sophie Kovalewsky.djvu/292

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ce qui fut, et ce qui aurait pu être.

presque que tu m’écris cela par pure méchanceté, afin que je fasse mon cours tout de travers aujourd’hui. Comment veux-tu que je pense à ma leçon quand je sais que notre pauvre petit traverse aujourd’hui une si terrible crise ? Non, il est bon, sais-tu, d’être père une fois ; on connaît alors ce que peuvent souffrir les pauvres hommes d’une méchante femme. Je voudrais bien rencontrer Strindberg et lui serrer la main. »

J’écrivais à ce sujet dans une lettre du 1er avril :

« J’ai cherché à introduire un léger changement à ma façon de travailler, en interdisant l’entrée de mon cabinet à Sophie jusqu’à l’entier achèvement, par moi seule, de la seconde pièce ; elle est au désespoir ; mais j’ai été trop dérangée et trop tiraillée par cette perpétuelle collaboration. J’en ai perdu le coup d’œil intérieur, la vie intime et commune avec mes personnages. Le besoin d’isolement, si profond chez moi, est étouffé par la trop puissante influence de Sonia ; ma personnalité est noyée dans la sienne, sans que la sienne trouve une expression individuelle plus complète. Voilà le côté défectueux d’une collaboration, même avec une nature comme celle de Sophie. Sous ce rapport elle est très différente, et ne comprend, avec toute son intelligence, qu’à condition d’avoir quelqu’un pour partager tous ses sentiments ; aussi ce qu’elle produit en mathématiques, le fait-elle sous l’influence d’une autre personnalité ; même pour ses cours, ils ne sont vraiment bons, que lorsque Gustave est présent. »