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Page:Souvenirs d'enfance de Sophie Kovalewsky.djvu/336

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la flamme vacille.

trop, pour ne pas douter que cette gaîté dissimulât quelque déchirement de cœur. Elle venait d’être extrêmement fêtée à Pétersbourg et à Helsingfors, où elle avait tenu un discours devant un auditoire de mille personnes. Elle s’était beaucoup amusée, disait-elle, et assurait avoir les plus belles espérances d’avenir, mais n’en restait pas moins sur la défensive, dans la crainte de questions trop catégoriques de ma part : elle évitait même de se trouver seule avec moi. Nous passâmes quelques jours ensemble, causant et plaisantant sur tout, et cependant j’emportai une impression pénible de cette rencontre, car au fond je la sentais nerveuse et mal équilibrée. La seule allusion qu’elle fit à sa situation personnelle, fut de déclarer qu’elle ne se marierait jamais. « Elle ne voulait pas être aussi banale, ni imiter les femmes qui renoncent à toute carrière personnelle, du moment qu’elles ont trouvé un mari ; jamais elle ne quitterait Stockholm avant de s’être assuré une position meilleure, ou avant de s’être créé une situation d’écrivain qui lui donnât de quoi vivre. » Du reste elle ne cachait pas qu’elle comptait rejoindre M. pour voyager avec lui ; c’était le meilleur des camarades et le plus agréable des amis.

Nous nous rencontrâmes quelques mois après à Stockholm, où elle revint en septembre pour la réouverture des cours. Sa gaîté forcée avait disparu, elle était de mauvaise humeur, et d’une extrême agitation. Il ne me fut plus donné de connaître le fond de ses pensées, car elle fuyait le tête-à-tête, et se mon-