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Page:Souvenirs d'enfance de Sophie Kovalewsky.djvu/36

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fékloucha.

m’a seulement recommandé de ne pas vous le montrer. »

Cette excuse parut ridiculement invraisemblable à Niania.

« Tu ne sais même pas mentir, petite mère, dit-elle avec mépris. Quelle vraisemblance y a-t-il que Marie Vassiliévna aille te régaler de confitures ?

— Niania, ma colombe, je ne mens pas. Vrai, c’est ainsi ; demandez-le-lui à elle-même. Je lui ai chauffé ses fers hier soir, et pour cela elle m’a donné ces confitures. Seulement, ne les montre pas à la Niania, a-t-elle ordonné, car elle me gronderait de te gâter, continuait à protester Fékloucha.

— C’est bon, nous verrons cela demain matin », décida la bonne, et en attendant elle enferma Fékloucha dans le cabinet noir, d’où ses sanglots retentirent longtemps.

Le lendemain, on commença l’enquête : Marie Vassiliévna, une couturière qui vivait chez nous depuis des années, était une affranchie, et jouissait parmi les domestiques d’une grande considération. Elle avait une chambre à elle, et y mangeait des mets apportés de la table des maîtres. Hautaine avec son entourage, elle ne se familiarisait avec personne ; chez nous on l’appréciait fort, car elle était habile dans son art et on disait d’elle : « Ses mains sont de l’or ». Elle pouvait avoir une quarantaine d’années ; son visage était maigre et maladif, ses yeux noirs et démesurément grands. Elle n’était point belle, mais je me rappelle que les grandes personnes lui trouvaient quelque