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Page:Souvenirs d'enfance de Sophie Kovalewsky.djvu/38

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fékloucha.

faire raconter. Elle venait assez souvent dans notre chambre, quoiqu’elle ne vécût pas en très bons tenues avec Niania, et nous aimions à aller chez elle, surtout au crépuscule, lorsqu’elle mettait forcément son ouvrage de côté. Alors, assise sur le rebord de la fenêtre, la tête appuyée sur sa main, elle entonnait d’une voix plaintive d’anciennes romances mélancoliques. J’aimais ce chant, quoiqu’il me remplît de tristesse. Elle s’interrompait parfois, prise d’un violent accès de toux, qui me paraissait devoir rompre sa poitrine plate et sèche ; elle souffrait de cette toux depuis longtemps. Le lendemain, après l’épisode de Fékloucha, lorsque Niania interrogea Marie Vassiliévna pour éclaircir l’affaire des confitures, celle-ci répondit d’un air étonné, ainsi qu’on devait s’y attendre :

« Y pensez-vous, Niania ? Pourquoi irais-je ainsi gâter cette enfant ? Je n’ai même pas de confitures pour moi. »

Et elle prit un ton offensé. La chose était claire, et cependant l’effronterie de Fekloucha fut telle, que malgré cette dénégation catégorique, elle continua ses protestations.

« Marie Vassiliévna ! Le Christ soit avec vous ! Est-il possible que vous ayez oublié ! Mais hier au soir vous m’avez appelée, vous avez trouvé les fers bien chauffés, et vous m’avez donné les confitures », disait-elle désespérée, d’une voix, entrecoupée de larmes, et toute secouée de frissons, comme dans la fièvre.

« Tu es malade, et tu divagues sans doute,