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Page:Souvenirs d'enfance de Sophie Kovalewsky.djvu/80

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mon oncle pierre vassiliévitch.

Les articles scientifiques et la politique n’avaient pas seuls le don d’enflammer mon oncle Pierre Vassiliévitch. Il mettait Le même enthousiasme à lire des romans, des voyages, des articles d’histoire. Faute de mieux, il aurait lu des livres d’enfants. Jamais je n’ai vu à personne, sauf à quelques adolescents, une semblable passion de lecture. Passion bien innocente et facile à satisfaire pour un riche propriétaire, et cependant mon oncle ne possédait presque pas de livres ; ce fut grâce à notre bibliothèque de Palibino qu’il put, vers la fin de sa vie, se procurer la seule jouissance à laquelle il attachât du prix.

L’extrême faiblesse de son caractère, en si frappant contraste avec son aspect imposant et sévère, le fit toute sa vie la victime de son entourage, et le joug sous lequel il plia fut si dur, si autoritaire, que la satisfaction de ses goûts personnels ne fut même jamais prise en considération. Cette faiblesse de caractère le rendit impropre au service militaire — seule carrière convenable pour un gentilhomme à cette époque, — au moins ses parents en jugèrent-ils ainsi. Son tempérament étant doux et facile, ils se résolurent à le garder à la maison, lui donnant l’instruction strictement nécessaire pour n’être pas déplacé dans le monde. Ce qu’il sut, il l’apprit par lui-même, par la réflexion, ou par les lectures qu’il fit plus tard. L’étendue de ses connaissances était cependant remarquable ; mais, comme il arrive à ceux qui s’instruisent sans guide, son instruction manqua toujours d’ordre et de méthode : considérable sur certains